đŸȘ C Est Toujours Le MĂȘme Marteau Qui Frappe

Laseule aide la plus concrĂšte, c'est d'admettre que tout systĂšme d'Ă©valuation n'est qu'un outil auquel s'appliquent les deux thĂ©orĂšmes du marteau. Premier thĂ©orĂšme du marteau : quand on se tape sur les doigts avec un marteau, ce n'est pas la faute du marteau. Il ne faut pas confondre l'outil et la façon de s'en servir. AB1900| MARTEAU-PIQUER PROFESSIONNEL Le SCHEPPACH AB1900 va vous permettre de venir Ă  bout te tous les travaux. Les murs les plus Ă©pais ne lui poseront aucun problĂšme grĂące Ă  ses puissant 60 Joules. Son emmanchement hexagonal permet un changement simple et rapide des outils. Sa poignĂ©e bi-mattiĂšre permet de travailler avec un faible niveau de vibrations. ‱ Une Voiciles six types d’immersion : – dans l’activitĂ© : ĂȘtre absorbĂ© par l’activitĂ© elle-mĂȘme, que celle-ci soit aussi prenante que le fait de passer une soirĂ©e avec ses amis ou aussi immĂ©diate que de faire une pyramide avec ses dĂ©s ; – dans le jeu : ĂȘtre absorbĂ© par la partie et le fait d’atteindre son objectif en suivant YannPailleret, le mime marteau de France Inter. Madeleine de Proust des auditeurs de France Inter, le mĂ©tallophone est l’identitĂ© sonore du "Jeu des mille euros" sur la Les38 citations et proverbes frapper : Comme le bƓuf, l'homme ne voit la massue suspendue sur sa tĂȘte que lorsqu'il en est frappĂ©. Citation de Hypolite de Livry ; Les pensĂ©es et rĂ©flexions (1808) Il ne faut pas ĂȘtre avare, mais il ne faut pas que la mort nous frappe avant la perte de notre bien. Citation de Auguste-Louis Petiet ; Les cest toujours le consommateur qui paye la facture, et ce n'est celui qui maniera le marteau aura le pouvoir [] de transformer les montagnes en vallĂ©es et la force [] de dĂ©truire tout sur son passage, mĂȘme les dieux. fr.gamesplanet.com. fr.gamesplanet.com. Legend holds that ] he who wields the hammer has the power to [] smash mountains into valleys and the strength to Lorsquel’on aurait mĂȘme pu penser que Lidl n’est pas toujours bien placĂ© en termes de prix, c’est mal les connaĂźtre et les enseignes bricolage ont beaucoup de difficultĂ©s Ă  tenir la charge face Ă  un tel concurrent comme Lidl qui peut ĂȘtre assez dur et agressif dans ses diffĂ©rents prix Un marteau perforateur Parkside testĂ© et approuvĂ© par les utilisateurs. Si de plus en plus Letexte est en lui-mĂȘme achevĂ©, pas une lettre ne peut manquer, pas une lettre supplĂ©mentaire ne peut s'introduire et, malgrĂ© cet achĂšvement, il est ouvert Ă  l'infinitĂ© des interprĂ©tations, le verbe est "comme le marteau qui frappe le rocher en faisant jaillir d'innombrables Ă©tincelles." Dautant que le gĂ©notype de ce virus _ sa carte de visite _ Ă©tait le mĂȘme que celui retrouvĂ© chez nombre de patientes du docteur Marteau , frappĂ©es elles aussi par cette maladie. LMvLo. En Angleterre, une femme enceinte a Ă©tĂ© filmĂ©e en train de se frapper le ventre avec un marteau. ContactĂ©e par le pĂšre de l’enfant, la police n’a pas rĂ©agi. Ames sensibles, cette vidĂ©o pourrait vous affecter. Pour prouver Ă  son compagnon, Sean Hanlon, que son bĂ©bĂ© Ă©tait dur », Heather Thorpe, une jeune femme enceinte de 8 mois, s’est frappĂ©e le ventre avec un marteau. Cette scĂšne dĂ©rangeante a Ă©tĂ© filmĂ©e par le futur coups de marteau sur le ventreD’aprĂšs celui-ci, il Ă©tait en train de la filmer avec son Iphone quand Heather a dĂ©clarĂ© Mon bĂ©bĂ© est plus fort que tout, regarde ça ». Et la jeune femme, enceinte de 8 mois, de se saisir d’un marteau, de soulever son T-shirt et de donner deux coups de marteau sur son ventre, ne se souciant guĂšre des consĂ©quences de cette action sur son fils. J’étais sous le choc, mais Heather semblait indiffĂ©rente. Je lui ai demandĂ© ce qu’elle faisait mais elle m’a dit d’arrĂȘter de dramatiser. Quand Jonathon est nĂ©, il allait bien », a expliquĂ© Sean Hanlon. Une plainte sans suitePeu aprĂšs, le couple s’est sĂ©parĂ© et la jeune femme a portĂ© plainte contre son ex-compagnon pour violences conjugales. ContactĂ© par la police, Sean Hanlon leur a montrĂ© la vidĂ©o. Mais aprĂšs avoir menĂ© l’enquĂȘte, la police n’a pas donnĂ© suite. Elle a simplement signalĂ© l’incident au services sociaux. VOIR AUSSIEtats-Unis une femme enceinte reçoit une dĂ©charge de taserTop 9 des trucs Ă  ne pas dire Ă  une femme enceinte !Le tabagisme des femmes enceintes inquiĂšte Marisol Touraine 1 La notion de solidaritĂ© familiale » est d’usage courant et remplit volontiers les discours tenus sur les relations qu’entretiennent entre eux des individus que des rĂšgles explicites ou implicites, juridiques ou idĂ©ologiques [2], ont colligĂ© dans une forme sociale aux contours Ă©vanescents et qu’on appelle la famille ». Elle est aussi d’usage rĂ©current dans le discours des instances publiques et sert Ă  l’occasion Ă  tracer des lignes de dĂ©veloppement de politiques publiques. Elle est encore d’usage frĂ©quent dans les sciences sociales, mĂȘme si les plus attentifs de ses reprĂ©sentants ont su souligner les limites analytiques, pour ne pas dire l’inconsistance thĂ©orique, qu’elle recelait. C’est ce dernier usage qui retiendra ici notre attention. Notamment parce qu’il nous semble s’y jouer un de ces moments de confusion au cours desquels une notion de sens commun tend Ă  prendre valeur scientifique et, rĂ©ciproquement, sa prĂ©sence dans l’arsenal conceptuel d’une discipline scientifique Ă  fournir du crĂ©dit Ă  son usage politique. C’est pourquoi nous serons conduits Ă  ne voir dans la notion de solidaritĂ© familiale » qu’un syntagme affectif » simplement contre-factuel quant aux principes d’ordonnancement de la sociĂ©tĂ© française contemporaine. 2 Nombre de sociologues continuent en effet d’employer l’expression solidaritĂ© familiale » dans leurs travaux. Le plus souvent, ils en font un usage descriptif pour dire ce qui se passe entre des individus apparentĂ©s au sein de circonscriptions parfois dĂ©licates Ă  Ă©tablir mais correspondant peu ou prou Ă  l’idĂ©e de famille au sens moderne qu’ont su Ă©tablir les historiens. Et l’on peut toujours le faire de cette maniĂšre puisque cela n’engage rien d’autre que la dĂ©signation d’un exercice social factuel gĂ©nĂ©rique dont on prĂ©cisera le contenu sĂ©mantique par l’emploi d’autres termes Ă  l’acception plus rigoureuse tels Ă©change, don, dette, obligation, partage, etc. C’est donc l’usage proprement conceptuel de la notion qui se rĂ©vĂšle problĂ©matique pour le sociologue. Traite-t-il en effet d’un fait social » pour parler comme Durkheim, c’est-Ă -dire d’un phĂ©nomĂšne qui, par-delĂ  son pouvoir de contrainte sur les individus, s’impose Ă  l’analyste en vertu de sa puissance de structuration ou d’ordonnancement de la sociĂ©tĂ© ? Ce qui revient Ă  attribuer un sens objectif » Ă  la solidaritĂ© familiale, pour parler cette fois comme Weber. Ou bien, se contente-t-il d’user d’une catĂ©gorie commune et commode pour dĂ©crire ce qu’il observe, tout en l’érigeant, ce faisant, au statut de concept analytique spĂ©cifique ? C’est bien ce dernier usage du vocable qui paraĂźt fautif, sociologiquement parlant. 3 D’ailleurs, c’est parmi les sociologues qui ont Ă©tudiĂ© les rĂ©seaux de parentĂ© et les Ă©changes qui s’y dĂ©roulent, qu’on rencontre le plus de rĂ©ticence Ă  confĂ©rer Ă  la notion de solidaritĂ© familiale » le statut de concept pertinent pour rendre compte des formes majeures sous lesquelles se structurent nos sociĂ©tĂ©s. Et ceux-ci ont su Ă  l’occasion mettre des guillemets autour du syntagme solidaritĂ© familiale ». Ne serait-ce qu’en raison des effets de maintien, voire de renforcement, des disparitĂ©s sociales observĂ©s Ă  travers les Ă©changes qui ont rĂ©ellement cours. C’est le cas, notamment, de Jean-Hugues DĂ©chaux qui, dans une perspective de stratification sociale, Ă©tablira qu’ il n’existe pas, s’agissant de l’entraide familiale, de cadre normatif unique Ă  l’échelle de la sociĂ©tĂ© » [3]. Il rĂ©affirmait ainsi son opposition aux orientations analytiques qui souhaitaient voir dans la solidaritĂ© familiale » l’utile complĂ©ment ou l’heureux substitut des solidaritĂ©s institutionnelles. Car, Ă©crivait-il, la reprĂ©sentation irĂ©nique de la solidaritĂ© familiale, toute de chaleur et de force, se double d’une vue globalisante oĂč le qualificatif “familial” fonctionne comme un Ă©cran » [4]. 4 L’avertissement Ă©tait donc ferme. MalgrĂ© cela bien des analystes du social maintiendront l’idĂ©e qu’une solidaritĂ© familiale » traverse toujours les rapports que nous entretenons avec nos proches et cela pour le plus grand profit de la cohĂ©sion d’ensemble de la sociĂ©tĂ©. La perdurance de cette idĂ©e, ce qui fera donc Ă©cran », tient Ă  ce qu’elle paraĂźt s’articuler sur une vision anthropologique fondamentale selon laquelle, avant de former des sociĂ©tĂ©s complexes et diversifiĂ©es, les Hommes auraient construit leurs rapports collectifs au sein d’unitĂ©s Ă  caractĂšre familial. Les solidaritĂ©s familiales » d’aujourd’hui, surtout lorsqu’on met l’accent sur leur trait spontanĂ©, n’en seraient qu’une trace archaĂŻque. En quelque sorte, un invariant anthropologique remodelĂ© Ă  l’aune de notre modernitĂ©. D’oĂč l’attachement affectif » au syntagme. 5 Nous proposons cette interprĂ©tation parce qu’au-delĂ  des mĂ©prises analytiques auxquelles peut conduire la notion de solidaritĂ© familiale », se fait jour un enjeu proprement sociologique portant sur la nature de notre sociĂ©tĂ© – entendons, ses caractĂ©ristiques majeures de structuration – et donc sur sa capacitĂ© Ă  intĂ©grer une telle solidaritĂ© familiale » Ă  titre de modalitĂ© de rĂ©gulation collective. En d’autres termes, il convient d’interroger sur le plan sociologique la valeur thĂ©orique qu’il y aurait Ă  poursuivre des analyses en termes exclusifs de solidaritĂ© familiale ». 6 Sur le plan Ă©pistĂ©mologique, la thĂšse, ici dĂ©fendue, est de soutenir que la solidaritĂ© familiale » ne peut recevoir, dans notre sociĂ©tĂ©, qu’un sens subjectif », selon l’acception que donnait Weber au vocable. Elle ne saurait prĂ©tendre au sens objectif » que doit poursuivre le sociologue [5]. Partant, on ne saurait la tenir pour un concept analytique opĂ©ratoire en vue d’analyser et de comprendre l’ordonnancement de notre sociĂ©tĂ©, mĂȘme si elle guide l’agir de bien des acteurs sociaux et ainsi recevoir une description objective de la part du chercheur. C’est ce que cet article se propose d’établir. Pour ce faire, il reprendra Ă  nouveaux frais des arguments dĂ©jĂ  exposĂ©s Ă  titre exploratoire dans des travaux antĂ©rieurs et tentera de fournir une synthĂšse prospective de ce que la solidaritĂ© familiale » peut occuper comme place et tenir comme rĂŽle dans le fonctionnement de notre sociĂ©tĂ©. Les apories de la solidaritĂ© familiale 7 Dans un article publiĂ© en compagnie de Michel ChauviĂšre dans Sociologie du travail, en 2003, nous avions cherchĂ© Ă  souligner combien la notion de solidaritĂ© familiale Ă©tait sujette Ă  produire des confusions de sens lorsqu’il Ă©tait question de penser selon un continuum sĂ©mantique l’exercice de la solidaritĂ© Ă  l’échelle sociale publique et Ă  l’échelon familial privĂ©. C’est qu’entre ces deux niveaux d’apprĂ©hension, ces deux instances putatives d’exercice de la solidaritĂ©, se jouent diffĂ©rentes configurations de justice. La solidaritĂ© sous l’égide de l’État et la solidaritĂ© pratiquĂ©e Ă  l’intĂ©rieur de la famille ne semblent guĂšre rĂ©gies selon les mĂȘmes rĂšgles », Ă©crivions-nous [6]. En un sens, leurs Ă©thiques les opposent substantiellement. Pour l’une – la solidaritĂ© publique –, c’est une Ă©thique de justice Ă©galitaire qui lui prĂ©side. Pour l’autre – la solidaritĂ© circonscrite Ă  la famille –, c’est une Ă©thique discrĂ©tionnaire qui s’impose. Modulo, bien entendu, la correction apportĂ©e par les rĂšgles de droit en la matiĂšre et consignĂ©es, pour l’essentiel, dans le Code civil français. Lesquelles rĂšgles de droit ne relĂšvent nullement de la coutume familiale, mais bien des principes constitutifs de la collectivitĂ© sociale nationale, voire, de plus en plus fortement, internationale. Ce qui montre dĂ©jĂ  combien la solidaritĂ© familiale » se trouve contrainte » par la rĂšgle publique. 8 Ainsi, et pour ne prendre qu’un exemple les difficultĂ©s de diverses natures rencontrĂ©es par l’un des membres d’une famille ne reçoivent-elles de rĂ©ponses que largement distribuĂ©es sur ce que nous pouvons dĂ©signer comme l’axe de leur pertinence et de leur efficacitĂ©. En effet, ce qui est prĂ©sentĂ© trĂšs souvent comme la solidaritĂ© spontanĂ©e », naturelle », si ce n’est substantielle » de la famille admet un large spectre de rĂ©alisation de l’abstention – quand ce n’est la rĂ©cusation de la part du destinataire – Ă  l’établissement d’une rente de situation – que ce soit celle inhĂ©rente Ă  la fortune du groupe familial ou celle obtenue de facto par des formes de chantage sentimental » ou autres modalitĂ©s de tanguysation » [7]. Modulo toujours les rĂšgles de droit prĂ©citĂ©es, la solidaritĂ© procurĂ©e par la famille Ă  l’endroit du membre en difficultĂ© s’avĂšre ĂȘtre des plus variables, si ce n’est parfois des plus versatiles [8]. C’est que, Ă  l’intĂ©rieur du pĂ©rimĂštre laissĂ© Ă  l’initiative de la famille par la rĂšgle de droit, s’expriment toutes les caractĂ©ristiques singuliĂšres privĂ©es de ladite famille. Cela va, bien Ă©videmment, de ses capacitĂ©s Ă©conomiques, matĂ©rielles et pĂ©cuniaires, jusqu’à ses options idĂ©ologiques lato sensu, c’est-Ă -dire autant l’air ambiant que l’on respire que la tradition que l’on suit aveuglĂ©ment dans le domaine culturel, celui des croyances religieuses ou celui de l’élection d’un mode de vie, sans oublier la dimension psychologique longtemps qualifiĂ©e de nĂ©vrotique de la configuration familiale [9]. 9 DĂšs lors, l’aide, le secours, le soutien, l’appui et tous les termes qui servent Ă  Ă©noncer la modalitĂ© par laquelle se rĂ©aliserait l’idĂ©e gĂ©nĂ©rique de solidaritĂ© familiale, vont, d’une maniĂšre ou d’une autre, avoir tendance Ă  souligner la relativitĂ© de la prĂ©sumĂ©e solidaritĂ© familiale. Aucun de ces vocables ne s’accompagne, en effet, de l’idĂ©e d’obligation absolue, a fortiori de nĂ©cessitĂ© intrinsĂšque. Celles-ci n’adviennent qu’à la faveur d’une adjonction sĂ©mantique extĂ©rieure Ă  l’univers familial, particuliĂšrement, rĂ©pĂ©tons-le, sous la contrainte de la loi. Certes, des rĂšgles – le plus souvent des rĂ©gularitĂ©s d’observation relativement stables dans le temps – peuvent apparaĂźtre aux yeux du chercheur, elles peuvent mĂȘme ĂȘtre formulĂ©es Ă  titre de motivations ou de justifications des comportements d’entraide, de soutien, d’appui, etc., par les protagonistes, mais elles ne forment pas encore une norme sociale de l’agir en sociĂ©tĂ©. Celles-ci relĂšvent de la discrĂ©tionnaritĂ© des individus concernĂ©s et, partant, ressortissent aux mobiles de l’action qu’ils engagent. Or, ces mobiles ne rĂ©flĂ©chissent pas nĂ©cessairement – ne sont donc pas rĂ©ductibles – Ă  des normes de niveau sociĂ©tal. Bien sĂ»r, le sociologue, sur la base des observations qu’il aura construites, tentera de dĂ©gager la possible structure nomologique qui organise ces mobiles, mais il ne pourra, s’il veut rester wĂ©bĂ©rien, en infĂ©rer qu’il a vĂ©ritablement affaire Ă  une norme sociale » [10]. 10 En d’autres termes, la solidaritĂ© familiale, entendue comme nĂ©cessitĂ© sociale exprimĂ©e sous forme d’un impĂ©ratif Ă©manant du groupe familial, n’opĂšre jamais que sous la pression d’une norme hĂ©tĂ©ronome. Sans cette derniĂšre, elle ne prĂ©sente qu’un Ă©ventail largement dĂ©ployĂ© de pratiques possibles, qu’une Ă©chelle indĂ©finie de degrĂ©s d’effectuation, et donc, sur le plan de la logique modale alĂ©thique, tĂ©moigne de sa contingence plutĂŽt que de sa nĂ©cessitĂ©. En consĂ©quence, le sociologue ne saurait la tenir pour une forme sociale », Ă  la maniĂšre de Simmel, un fait social », Ă  celle de Durkheim, ou mĂȘme un type de gesinnung wĂ©bĂ©rien, voire d’habitus bourdieusien. 11 Car, par-delĂ  les enjeux sĂ©mantiques que recĂšlent ces notions, se rencontre la volontĂ© sociologique d’expliquer et de comprendre le comportement social des individus par un type de causalitĂ© en appelant Ă  l’intĂ©riorisation, par l’individu social, de la logique modale de la nĂ©cessitĂ©. Ce qui ne semble donc pas ĂȘtre le cas de la solidaritĂ© familiale » qui, en substance, n’est pas dissociable de la formalitĂ© de la loi. En toute logique explicative, on ne peut la reconnaĂźtre comme une cause du comportement solidaire » des apparentĂ©s, mais bien plutĂŽt penser ce dernier comme un possible effet de leurs intĂ©riorisations normatives, dont celle de la loi. 12 LĂ  oĂč le juriste est fondĂ© Ă  reconnaĂźtre que le dispositif lĂ©gal qu’il analyse produit de la solidaritĂ© entre les membres de la famille – puisque nous sommes dans l’ordre des dispositions factuelles entraĂźnĂ©es par la loi –, le sociologue, pour sa part, aura Ă  Ă©tablir, dans le cadre d’un raisonnement stochastique le plus souvent, la factualitĂ© mĂȘme du comportement familial solidaire et, subsĂ©quemment, de l’imputer causalement – autant que faire se peut – Ă  la variĂ©tĂ© et Ă  la variation des mobiles possibles, dont nous avons dit qu’ils courraient de la soumission Ă  la loi aux Ă©motions psychiques plus ou moins contrĂŽlĂ©es. C’est d’ailleurs ce qu’entreprennent bien des travaux de sociologie de la famille qui, raisonnant en termes de dette », de devoir », d’ Ă©change symbolique » affectivo-matĂ©riel, de contrat » et autre, vont rĂ©ifier la solidaritĂ© familiale depuis les mobiles motivations ou autres dispositions des individus qui la composent. Preuve, donc, que la solidaritĂ© familiale » ne se saisit pas immĂ©diatement ni in concreto, ni in abstracto, mais mĂ©diatement par des modalitĂ©s d’effectuation qui seront interprĂ©tĂ©es comme son signe manifeste. En termes de statut Ă©pistĂ©mologique, la notion de solidaritĂ© familiale – il en va de mĂȘme pour celle de solidaritĂ© sociale collective – relĂšve des reprĂ©sentations imaginaires du social. Elle ne saurait donc, on vient de le voir, ĂȘtre constatĂ©e par le sociologue mais seulement interprĂ©tĂ©e depuis les signes comportement, attitude, discours ou autre qui la symboliseront. Partant, toute la question, pour ce dernier, sera d’ĂȘtre en capacitĂ© de pondĂ©rer le sens de ces diffĂ©rents signes au regard de l’éventail de leur dispersion signalĂ©e plus haut. C’est ce que nombre de travaux cherchent Ă  faire lorsqu’ils entendent, par exemple, mesurer les inĂ©gales participations des membres d’une fratrie Ă  l’entretien d’un parent dĂ©pendant. Chaque participation se voyant interrogĂ©e quant Ă  son contenu » de solidaritĂ©, ou, pour le formuler dans un autre registre, quant Ă  sa sĂ©mantique solidariste. Et, entre l’obligation d’aliments et la politique des emplois familiaux, Ă©manations d’un social instituĂ© organique s’il en est, bien des suspicions d’atteinte Ă  la puretĂ© du sentiment naturel » de solidaritĂ© familiale pourront se faire jour. 13 Aussi est-ce dans ce cadre rĂ©flexif qu’il paraĂźt indiquĂ© d’analyser sociologiquement la solidaritĂ© familiale. Ce qui revient Ă  tenter de saisir les signes – les comportements, les attitudes, les discours, etc., significatifs – qui l’inscrivent explicitement et strictement dans l’univers du familial, rĂ©servant ceux qui y dĂ©rogent Ă  relever de la solidaritĂ© sociale organisĂ©e. Se jouent ici, en effet, diffĂ©rentes conceptions sociologiques de la solidaritĂ©. C’est la raison pour laquelle, par parenthĂšse, nous avions, avec Michel ChauviĂšre, apprĂ©hendĂ© les solidaritĂ©s familiale » et sociale collective » sous l’angle des configurations de justice dont elles tĂ©moignent. Égalitaire, pour l’une, discrĂ©tionnaire, pour l’autre. 14 En attendant, tentons de clarifier pourquoi la solidaritĂ© familiale » est venue Ă  tant prĂ©occuper le sociologue ? Pourquoi ce qui longtemps se voyait verser du cĂŽtĂ© d’une idĂ©ologie », largement Ă©tudiĂ©e et souvent dĂ©noncĂ©e par les sociologues, Ă  savoir le familialisme, peut-il, aujourd’hui, retrouver des couleurs vertueuses sous l’appellation de solidaritĂ© familiale » ? L’hypothĂšse, ici formĂ©e, est que l’analyse sociologique – abstraction faite des exceptions signalĂ©es en dĂ©but d’article – s’en est que trop facilement remise aux incantations des discours publics et, in fine, aux orientations des pouvoirs publics. La solidaritĂ© familiale comme catĂ©gorie d’action politique 15 Au dĂ©but des annĂ©es 1990, l’ouvrage patronnĂ© par Marie-ThĂ©rĂšse Join-Lambert, Politiques sociales [11], va devenir le vade mecum des observateurs et des analystes des politiques publiques de protection sociale. Inspectrice gĂ©nĂ©rale des affaires sociales, elle avait surtout ƓuvrĂ© dans les cabinets des ministĂšres sociaux » et les directions des agences sociales », quand elle compile dans un ouvrage de quelque 570 pages les enseignements qu’elle dispense Ă  l’Institut d’études politiques de Paris sur les politiques sociales françaises. Fort bien documentĂ©, l’ouvrage fait une prĂ©sentation historique des mesures de politique sociale, ordonnĂ©e par domaine d’intervention et articulĂ©e aux orientations gouvernementales qui prĂ©valaient Ă  l’époque. L’accent est mis, aprĂšs les annĂ©es de rupture de la dĂ©cennie 1970-1980, sur les politiques de l’emploi et de la protection contre le chĂŽmage, mais les quelques pages consacrĂ©es Ă  la politique familiale de l’État et Ă  la protection de la vieillesse tĂ©moignent d’une inflexion sensible en la matiĂšre. Celles-ci sont prĂ©sentĂ©es sous le projecteur de la solidaritĂ©. 16 La solidaritĂ© » est en effet devenue le thĂšme majeur des politiques sociales depuis les annĂ©es 1980. Il inspirera la mise en place du revenu minimum d’insertion RMI en 1988, dont notre auteur aura participĂ© aux travaux prĂ©paratoires. Elle se trouve dĂ©clinĂ©e dans toutes les mesures qui sont adoptĂ©es au cours de cette pĂ©riode dans les divers domaines de la protection sociale. L’allocation personnalisĂ©e d’autonomie APA entrĂ©e en vigueur en 2002, Les multiples rĂ©formes de l’assurance chĂŽmage et de l’indemnisation des personnes sans emploi, celle du RMI et de l’allocation de parent isolĂ©e API fondue dans le revenu minimum d’activitĂ© RSA, etc., aucune de ces mesures n’échappe Ă  sa comprĂ©hension en termes de solidaritĂ©. C’est que la solidaritĂ© » est dĂ©sormais la maniĂšre de philosophie officielle de l’État dans le domaine des politiques sociales. Les Ă©lites du welfare », comme les dĂ©signent William Genieys et Patrick Hassenteufel [12], et dont notre auteur est incontestablement une Ă©minente reprĂ©sentante, dans leur souci de rendre le systĂšme français de protection sociale plus efficient et moins coĂ»teux – il est jugĂ© trop fortement segmentĂ© et dispersĂ©, fragmentĂ© Ă  l’excĂšs et souvent insuffisamment efficace, parce que les mesures ont Ă©tĂ© empilĂ©es sous l’effet d’un paritarisme peu dynamique et d’un syndicalisme largement conservateur – ont donc su imposer leurs idĂ©es, au-delĂ  de leur administration de rattachement, dans des programmes d’action rĂ©formatrice qui recevront l’aval des reprĂ©sentants de la dĂ©mocratie pluraliste les politiques ». Or, pour accompagner ces nouveaux modes d’action et les options rĂ©formatrices qu’ils portaient, un nouveau langage devait s’imposer ainsi qu’un nouveau rĂ©fĂ©rentiel doctrinaire ce sera celui de la solidaritĂ© ». 17 Par-delĂ  les enjeux, analysĂ©s en dĂ©tail par William Genieys, portant sur les rapports de force entre Ă©lite de gouvernement et politiques » issus de la reprĂ©sentation nationale [13], il nous revient de souligner ce qui, dans le champ de la politique de la famille, va connaĂźtre un net dĂ©placement doctrinaire. Jusqu’alors, celle-ci avait Ă©tĂ© conçue comme une politique publique Ă©minemment spĂ©cifique. Longtemps mĂȘme, elle ne savait ĂȘtre assimilĂ©e Ă  une politique sociale. Son objet Ă©tait la famille et c’était strictement celle-ci qu’elle devait servir. Ce face-Ă -face complice entre État et famille, aprĂšs que la doctrine de l’État, sous la iiie RĂ©publique, eut changĂ© Ă  l’endroit de cette derniĂšre, dĂ©limitera ce que les sociologues qui s’y intĂ©resseront nommeront le champ du familial » et, donc, la politique publique qui s’y applique la politique familiale ». De fait, historiquement parlant, il avait fallu que toute une variĂ©tĂ© d’institutions associations, mouvements Ă©manant des Églises ou des partis politiques, commissions et comitĂ©s divers, publics et parapublics, sans oublier l’institutionnalisation de la reprĂ©sentation des familles au sein de l’Unaf et celle de son observation scientifique par l’Ined investissent ce champ » afin de le structurer de concert avec l’État. Cette structuration va perdurer, dans une grande autonomie et avec une relativement forte cohĂ©sion, jusqu’à la pĂ©riode de mutation que nous envisageons, et que nous situons donc dans les annĂ©es 1980-1990. 18 De leur cĂŽtĂ©, les historiens et les sociologues du champ familial », quelques politistes et juristes Ă©galement, mettront au jour les enjeux majeurs, sur les plans politiques et sociaux, qui le caractĂ©risent. Si le familialisme, comme idĂ©ologie politique d’État, a pu susciter quelques interrogations, ce sont les questions de compĂ©tence relatives Ă  la maniĂšre de constituer, de conduire, d’organiser et donc, selon la formule tant prisĂ©e aujourd’hui, de faire famille », qui seront l’objet d’ñpres discussions en son sein. L’État, quant Ă  lui, gagnĂ© aux arguments des dĂ©mographes, conviendra que la nation avait Ă  soutenir la famille dans son projet nataliste. Par la suite, il se ralliera, la sociĂ©tĂ© consumĂ©riste s’installant, aux objectifs d’égalitĂ© des chances des individus quelle qu’en soit la famille, et, en consĂ©quence, modulera ses mesures en fonction de cet objectif. Cela concernera aussi bien la garde des tout petits que la subvention des loisirs collectifs, le financement du logement que le retrait temporaire du marchĂ© de l’emploi, le soutien Ă  l’activitĂ© professionnelle de la mĂšre que sa sortie progressive et, de plus en plus, la contribution au financement d’emplois ou de quasi emplois familiaux. Pendant tout ce temps, la famille, ou pour le moins ceux qui la reprĂ©sentaient dans les diverses institutions Ă  vocation familiale », acceptait sa sĂ©cularisation, c’est-Ă -dire renonçait dĂ©finitivement Ă  tenir une fonction politique dans l’ordonnancement mĂȘme de la sociĂ©tĂ©, comme il avait Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement rĂ©clamĂ© depuis la RĂ©volution de 1789. 19 PacifiĂ© sur le plan politique, n’étaient quelques rĂ©miniscences Ă©pisodiques d’un suffrage familial » [14] ou la promotion Ă©phĂ©mĂšre de la famille » au titre de valeur constitutive de l’État français, le champ familial » a pu, sociologiquement parlant, opĂ©rer comme un champ autonome et soucieux de son autonomie. Longtemps, il refusera son rapprochement d’avec celui des politiques sociales, mĂȘme si, constamment, il Ă©tait confrontĂ© Ă  la question des familles pauvres ». Mais sa doctrine, condensĂ©e dans l’idĂ©e de l’allocation familiale, semblait intangible l’allocation familiale engage, au bĂ©nĂ©fice de l’enfant, un rapport direct entre la nation – la RĂ©publique – et la famille. Cela, quelles que soient par ailleurs les caractĂ©ristiques de ladite famille, seraient-elles incompatibles avec les droits de l’enfant » alors en pleine expansion. L’enfant est autant celui de sa famille que celui de la RĂ©publique. On comprend pourquoi bien des tentatives gouvernementales de placer les allocations familiales sous une condition de ressources, ont rĂ©guliĂšrement Ă©chouĂ©. Celle du gouvernement Jospin 1998, pourtant prĂ©sentĂ©e dans un contexte de crise des solidaritĂ©s », semblait Ă©tablir une fois pour toute que le conflit de doctrine créé au sein mĂȘme de l’État Ă©tait insurmontable. La mesure de conditionnement des allocations familiales aux ressources du foyer n’avait pu opĂ©rer que pendant dix mois les dĂ©bats et les polĂ©miques sur l’efficience de ce ciblage, les protestations publiques et l’impuissance Ă©tatique Ă  produire une nouvelle doctrine, conduiront le gouvernement Ă  rapporter la mesure, le 1er janvier 1999 [15]. Pourtant, le conflit doctrinaire paraĂźt bien en passe d’ĂȘtre surmontĂ©. Non parce qu’une nouvelle doctrine Ă©tatique en matiĂšre de politique familiale aurait Ă©tĂ© dĂ©finie, mais parce qu’un ralliement Ă  une nouvelle maniĂšre de poser les questions a pu ĂȘtre amorcĂ© de tous les bords. C’est cette derniĂšre que l’on doit aux Ă©lites du welfare ». Elle consistera Ă  mettre au premier plan non la famille en soi », possiblement objet des pires troubles nĂ©vrotiques ainsi que l’avait soulignĂ© l’anti-psychiatrie des annĂ©es 1970, mais l’une de ses qualitĂ©s prĂ©tendument intrinsĂšques sa puissance de solidaritĂ©. Du cĂŽtĂ© de la reprĂ©sentation des intĂ©rĂȘts familiaux », de l’Unaf et autres institutions de dĂ©fense des familles, on a pu assister Ă  un dĂ©gagement progressif d’un familialisme Ă  rayon court, celui de la famille patriarcale, formĂ©e par le mariage et offrant Ă  la nation la plus large progĂ©niture. La reconnaissance de la pluralitĂ© des maniĂšres de faire famille », l’arrimage de cette derniĂšre avec les vertus et les vices de la relation intersubjective et de l’épanouissement personnel – autant de thĂ©matiques mises Ă  l’honneur par les travaux de sociologie de la famille [16] –, et puis peut-ĂȘtre surtout ?, la pĂ©riode de flottement idĂ©ologique dans laquelle se trouvera plongĂ©e la sociĂ©tĂ© française des annĂ©es 1990-2000 – la fameuse incertitude sociale » qui exile sans appel l’idĂ©e de progrĂšs social » [17] –, tout cela aura contribuĂ© Ă  rechercher pour la famille de nouvelles bases idĂ©ologiques afin d’asseoir autrement sa lĂ©gitimitĂ© politico-sociale. C’est donc dit, et tous les acteurs du champ familial » vont pouvoir s’accorder, la famille a, en propre, une puissance, si ce n’est une propension spontanĂ©e, Ă  la solidaritĂ©. Pour les pouvoirs publics, c’est le moyen de faire entrer le champ familial » dans la problĂ©matique de l’urgente rĂ©forme des dispositifs de protection sociale construits sous l’égide de la solidaritĂ© sociale que la famille, pour sa part, parce que naturellement » solidaire, participe Ă  la vaste entreprise de reconfiguration des solidaritĂ©s sociales ! D’autant que, on le sait bien maintenant, le refuge dans une fiscalisation accrue est quasiment interdit. Le verrou » de Bercy est en place. DĂšs lors, on articulera de plus en plus les dispositions de politique sociale aux contributions des familles. Cela sera particuliĂšrement patent avec l’émergence de ce qu’on prĂ©sentera comme un nouveau risque » de protection sociale la prise en charge de la dĂ©pendance des personnes ĂągĂ©es. Autrement dit, le thĂšme de la solidaritĂ© familiale mobilisĂ© par les Ă©lites du welfare n’est pas simplement idĂ©ologique et discursif, il s’incarne dans de nouvelles dispositions de prestations dont l’effet premier est de rendre le champ » du familial beaucoup plus poreux Ă  celui du social », c’est-Ă -dire de la protection universelle reconnue Ă  chaque citoyen dans le cadre d’une dĂ©mocratie providentielle, comme l’a nommĂ©e Dominique Schnapper. C’est ce dont il appert de l’ouvrage prĂ©citĂ© coordonnĂ© par Marie-ThĂ©rĂšse Join-Lambert. 20 Il serait, toutefois, pour le moins paradoxal de laisser accroire qu’il y aurait eu un abandon du familialisme au profit d’un solidarisme universaliste individuel, surtout quand nous avons pu soutenir que la politique familiale française n’était pas de prime abord d’essence familialiste. Ce sont plutĂŽt les prestations de politique sociale qui ont Ă©tĂ© familialisĂ©es ». Les prestations de politique familiale se sont, quant Ă  elles, parentalisĂ©es » [18]. Le familialisme des politiques familiales françaises est probablement d’abord une question thĂ©orique dĂ©battue, et Ă  dĂ©battre, avant d’ĂȘtre leur cadre d’élaboration substantif [19]. Cela dit, quelle que soit la conclusion Ă  laquelle on aboutira, c’est le recouvrement problĂ©matique du champ familial » par la thĂ©matique de la solidaritĂ© qui nous importe ici, aurait-il Ă©tĂ© Ă©galement celui de l’absorption de l’idĂ©ologie familialiste rĂ©siduelle qui y rĂ©gnait. En somme, on est en droit d’affirmer que l’activation d’une solidaritĂ© familiale par les pouvoirs publics va inscrire la politique familiale dans une vision fonciĂšrement solidariste plutĂŽt que familialiste. C’est comme catĂ©gorie d’action publique que la solidaritĂ© familiale » va devoir produire tous ses effets, mĂȘme si, comme catĂ©gorie analytique et concept sociologique, elle restera plus que douteuse. La mĂ©prise analytique consiste justement Ă  faire coĂŻncider les deux. Plus prĂ©cisĂ©ment, Ă  habiller les pratiques d’entraide, d’échange, de don, etc., que le sociologue ne manque pas d’observer, d’une aura vertueuse de solidaritĂ© » et, comme nous le verrons plus loin, d’une idĂ©alitĂ© imaginĂ©e constitutive de la sociĂ©tĂ© française contemporaine. 21 Cette mĂ©prise sera frĂ©quemment commise quand le sociologue analysera en termes de solidaritĂ© familiale en acte ce qu’il observe sous forme d’échange de bons procĂ©dĂ©s entre membres d’une mĂȘme famille ou, si l’on veut ĂȘtre plus prĂ©cis, de fourniture d’aide matĂ©rielle et affective Ă  leur endroit, d’entretien et de soins des siens, de souci de ses proches. En un sens, et une fois de plus, la sociologie – gĂ©nĂ©riquement parlant – se laissait gagner par l’air du temps et, en dĂ©pit de ses efforts pour circonscrire son propos, confortait la vulgate ambiante. À titre anecdotique mais symptomatique de ce brouillage Ă©pistĂ©mologique, cette surprenante inversion du titre de l’ouvrage d’AgnĂšs Pitrou entre ses deux Ă©ditions. La premiĂšre, en date de 1978, est titrĂ©e Vivre sans famille ? Les solidaritĂ©s familiales dans le monde d’aujourd’hui ». La seconde, datĂ©e de 1992, prendra pour titre Les solidaritĂ©s familiales vivre sans famille ? » [20] On conjecturera que ce changement de titre, sans que le texte ait Ă©tĂ© substantiellement modifiĂ© en dehors de l’introduction d’un nouveau chapitre – lui aussi au titre symptomatique de ce que nous voulons faire valoir, Ă  savoir l’actualitĂ© des solidaritĂ©s familiales » – n’avait d’autre raison d’ĂȘtre que de s’inscrire dans la mouvance rhĂ©torique qui assurait le succĂšs de la notion de solidaritĂ© familiale ». Et, bien que l’auteur ne s’y fasse nullement le chantre de la solidaritĂ© familiale » – elle souligne, au contraire, son ambivalence politique et idĂ©ologique –, nul doute que le relookage du titre avait Ă  voir avec cet air du temps. Un paradigme pour la protection de l’individu ? 22 Si donc, il y a bien eu, dans les annĂ©es 1990, un tournant dans la maniĂšre dont le champ familial » se situait au regard de celui de la protection sociale lato sensu, son recouvrement notionnel par le vocable de solidaritĂ© familiale » et la rhĂ©torique du continuum des solidaritĂ©s entre champ social et champ familial proposĂ©e par les Ă©lites du welfare, font-ils pour autant de cette solidaritĂ© familiale » un nouveau paradigme de protection pour l’individu ? Paradigme singulier appelĂ© Ă  prendre sa place ou Ă  se fondre dans celui de la protection globale dudit individu. La question a, finalement, Ă©tĂ© largement dĂ©battue dans cette pĂ©riode, mĂȘme si les termes dans lesquels elle se posait n’étaient pas ceux que nous utilisons aujourd’hui. Parfois envisagĂ©e sous l’idĂ©e d’un transfert, si ce n’est d’un dĂ©faussement », de l’État sur les familles des charges de la protection de l’individu ; d’autres fois, et classiquement, comme une nouvelle ingĂ©rence normative de celui-lĂ  Ă  l’endroit de celles-ci ; mais le plus souvent, eu Ă©gard au contexte de restrictions budgĂ©taires et d’affrontement des ministĂšres dĂ©pensiers » SantĂ©, Affaires sociales... aux ministĂšres Ă©pargnants » Économie, Budget..., d’une nouvelle rĂ©partition de la dĂ©pense et donc d’une contribution plus affirmĂ©e des familles Ă  l’Ɠuvre de solidaritĂ© collective. Dans tous les cas, se trouvait opĂ©rer en filigrane la sempiternelle et angoissante interrogation relative Ă  la frontiĂšre Ă  Ă©tablir entre la sphĂšre privĂ©e » du familial et la sphĂšre publique » du collectif – toujours essentiellement – national, et donc la puissance propre de l’une et de l’autre Ă  structurer l’ordre du social. 23 Deux postures que l’on peut dire politiques » – au sens de l’agencement normatif de la polis – auraient pu rivaliser, sur fond de rĂ©activation d’anciens conflits, dans l’établissement du nouveau paradigme d’action qu’avaient su suggĂ©rer les Ă©lites du welfare. L’une, arcboutĂ©e Ă  l’autonomie de la sphĂšre familiale aurait pu accepter de voir son geste solidariste » rĂ©tribuer – au moins symboliquement – Ă  titre de service rendu Ă  la nation comme dans le cas des allocations familiales. On aurait pu attendre cette posture du cĂŽtĂ© des institutions reprĂ©sentatives du champ familial », notamment de l’Unaf, quitte Ă  nĂ©gocier une familialisation accrue des politiques sociales et fiscales. L’autre, toujours mĂ©fiante vis-Ă -vis des us dĂ©viationnistes de la monade familiale, aurait prĂ©fĂ©rĂ© la placer encore plus explicitement sous la loi d’airain du collectif. Accentuer, par exemple, l’ingĂ©rence de l’État en matiĂšre de succession et de rĂ©cupĂ©ration sur celle-ci. Cela aurait inĂ©vitablement rallumĂ© l’ancestral conflit de prĂ©rogatives entre la famille et l’État. Mais il n’en fut rien. Aucune guerre, ni mĂȘme menace de guerre, ne se profila. Nous pouvons le conjecturer aujourd’hui, cela aura tenu Ă  ce que la catĂ©gorie d’action politique solidaritĂ© familiale » proposĂ©e par les Ă©lites avait l’avantage de favoriser une sorte d’opĂ©ration de synthĂšse par omission de dĂ©finition. Vide de contenu, la solidaritĂ© familiale » pouvait ĂȘtre remplie de ce que l’on voulait. 24 De fait, elle recevra toutes sortes de comprĂ©hensions plus ou moins naturalisĂ©es pulsion de l’individu Ă  faire bloc avec les siens, pointe aigĂŒe du sens moral et de la dette intergĂ©nĂ©rationnelle, inconscient habitus Ă  resserrer les liens selon sa classe d’appartenance, etc., mais toujours elle connotera – insidieusement, probablement – ce substrat sĂ©mantique d’allure anthropologique que nous Ă©voquions au dĂ©but de ce texte la solidaritĂ© familiale » aurait Ă  voir avec le fond archaĂŻque de toute sociĂ©tĂ©, la nĂŽtre comprise. De lĂ  Ă  en faire un paradigme sociologique de protection de l’individu contemporain, comme le proposaient les Ă©lites, il y a un saut thĂ©orique pour le moins pĂ©rilleux. Plusieurs raisons, d’ordre argumentatif diffĂ©rent, nous dissuaderont de le tenter. Envisageons-les. 25 Revenons, en premier lieu, sur la chronique de l’émergence de la thĂ©matique des solidaritĂ©s familiales ». Dans un remarquable article de synthĂšse historique et analytique, JĂ©rĂŽme Minonzio soutient, comme nous le faisons ici, que la thĂ©matique des solidaritĂ©s familiales » est une Ă©manation de la demande politique Ă  laquelle ont su rĂ©pondre les chercheurs en sciences sociales et des groupes d’intĂ©rĂȘt, notamment du cĂŽtĂ© de la gĂ©rontologie [21]. Tout en inscrivant sa rĂ©flexion sous les auspices des thĂšses kuhniennes relatives aux rĂ©volutions scientifiques, il questionne la pertinence de confĂ©rer Ă  la notion de solidaritĂ© familiale » la valeur d’un paradigme ». RĂ©pondons de maniĂšre directe si nous avons bien affaire Ă  un paradigme d’action politique avec cette notion, cela ne saurait pour autant fournir un paradigme analytique pour comprendre l’ordonnancement de notre sociĂ©tĂ©. Un paradigme qui, en l’occurrence, attesterait que l’existence d’un espace spĂ©cifiĂ© dans lequel s’exercerait un type singulier de relations entre les individus, qualifiĂ© de solidaritĂ© familiale », participe de façon essentielle ou indispensable Ă  l’ordonnancement de la sociĂ©tĂ© française contemporaine. 26 En effet, comme l’établit JĂ©rĂŽme Minonzio, et comme nous avons cherchĂ© Ă  le faire jusqu’ici, il ne fait aucun doute que la rĂ©surgence du thĂšme de la famille solidaire obĂ©it Ă  impĂ©ratif politique, celui, dĂ©jĂ  Ă©noncĂ©, d’une recomposition de l’intervention de l’État quant Ă  sa mission de protection des citoyens. Autrement dit, d’un redĂ©ploiement de l’État providence ou, si l’on prĂ©fĂšre, d’un approfondissement de la dĂ©mocratie providentielle, pour rejoindre encore Dominique Schnapper. Sans conteste, le nouvel Ă©quilibre de la pyramide des Ăąges qui se dessinait du fait de l’avancĂ©e en Ăąge d’une fraction de plus en plus grande de la population, les coĂ»ts d’allure exponentielle de sa prise en charge collective, ce dans un contexte de croissance du chĂŽmage et de difficultĂ©s Ă  crĂ©er des emplois, multipliant ainsi les situations dites d’ exclusion » – selon la mĂ©taphore qui fait Ă©galement fureur Ă  l’époque –, tout cela ne pouvait qu’entraĂźner la dĂ©stabilisation des dispositifs de protection sociale en place. Tout cela ne pouvait qu’inciter Ă  repenser l’action protectrice de l’État. Bref, la thĂ©matique des solidaritĂ©s familiales » complĂ©mentaires de l’intervention de l’État et de ses dispositifs sociaux » avait tout lieu de sĂ©duire. 27 Pour leur part, comme le note Ă©galement JĂ©rĂŽme Minonzio, les sciences sociales vont aussi faire un pas de cĂŽtĂ©. DĂ©laissant quelque peu le schĂ©ma fonctionnaliste parsonien, elles redĂ©couvrent les relations intergĂ©nĂ©rationnelles et leurs Ă©changes vite qualifiĂ©s de solidaritĂ© intergĂ©nĂ©rationnelle ». La solidaritĂ© familiale reprenait ce faisant quelque couleur chez les sociologues, comme nous l’avons vu avec le retitrage de l’ouvrage d’AgnĂšs Pitrou. Pour autant, ainsi que signalĂ© pour cette derniĂšre, la solidaritĂ© de la famille ne leur semblait pas suffisante pour assurer la bonne intĂ©gration sociale de l’individu, ni Ă  toute Ă©preuve. De mĂȘme, les efforts dĂ©ployĂ©s par quelques-uns pour ne pas enclore les relations familiales dans la seule sphĂšre du bien-ĂȘtre et envisager la nature et les effets des Ă©changes de toute sorte qui s’y rĂ©alisent, ne dissiperont pas l’équivoque qui s’attache Ă  la notion de solidaritĂ© familiale ». À son corps dĂ©fendant peut-ĂȘtre, la thĂ©matique de la solidaritĂ© familiale » allait recevoir l’aval de la sociologie et susciter de multiples travaux qui, de maniĂšre assez disparate, se rangeront sous sa banniĂšre. De lĂ , la confusion thĂ©orique et Ă©pistĂ©mologique que nous envisageons ici. 28 Celle-ci tient pour une bonne part Ă  ce que, comme nous avons eu l’occasion de l’établir Ă  quelques reprises, il y a une grande permĂ©abilitĂ© des sciences sociales au discours social lui-mĂȘme, ce qui n’a rien de surprenant, mais devient contreproductif si l’on s’en tient lĂ  [22]. En particulier, cela concourt Ă  confondre le tableau descriptif des phĂ©nomĂšnes sociaux Ă©tudiĂ©s – lequel emprunte volontiers ses catĂ©gories au langage social du moment – et le schĂ©ma explicatif recevable au sein de la discipline – lequel procĂšde par construction conceptuelle et interprĂ©tation thĂ©orique [23]. En l’occurrence, dĂ©crire les frĂ©quentations rĂ©guliĂšres des enfants et petits-enfants Ă  l’endroit de leurs parents et grands-parents, n’est pas Ă©tablir un lien de solidaritĂ© admettant un sens sociologique, c’est contredire la thĂšse parsonienne de la tendance au centrage et Ă  l’isolement du couple familial. De mĂȘme, souligner les Ă©changes de services et les dons entre les gĂ©nĂ©rations n’est toujours pas constituer la solidaritĂ© en phĂ©nomĂšne sociologique, c’est dĂ©crire un type d’échange qui n’obĂ©it pas Ă  la rĂšgle gĂ©nĂ©ralisĂ©e du marchĂ©. Et, il revient au sociologue de donner la raison de cet Ă©cart. Or, rien n’est moins sĂ»r que ce soit par solidaritĂ© », si, par solidaritĂ©, on entend toujours, selon l’acception Ă©tymologique du terme, ce qui permet de produire une unitĂ© distinctive et exclusive – le in solidum toujours en vigueur chez les juristes. 29 Rien n’est moins sĂ»r, parce que l’objectif, ou pour le moins le rĂ©sultat, n’est pas, tant s’en faut, de produire une unitĂ© distinctive et exclusive. Bien des Ă©changes et des dons intrafamiliaux se font par dĂ©faut – dĂ©faut de solution alternative pour la garde des enfants, faiblesse du revenu du mĂ©nage, etc. Bien des contrats tacites » viennent prĂ©server l’autonomie des unitĂ©s domestiques. Nombre de ces Ă©changes restent sĂ©quentiels et sans rĂ©ciprocitĂ©. Bref, on est encore loin d’atteindre le caractĂšre de nĂ©cessitĂ© du in solidum. Bien sĂ»r, il incombera au sociologue, Ă  sa sagacitĂ© analytique, de dĂ©mĂȘler ce qui a valeur explicative entre, d’un cĂŽtĂ©, ce qui se prĂ©sente Ă  lui tantĂŽt comme un impĂ©ratif moral – le sens de la dette Ă  l’endroit des siens » –, tantĂŽt comme une propension Ă  la conduite affective inhĂ©rente Ă  tout individu, voire comme une obligation Ă©thique provenant de son environnement social, et, de l’autre, la contrainte lĂ©gale qui encadre aussi nombre de ces comportements. Cela laisse la place Ă  bien des interprĂ©tations, bien des prĂ©sentations dans des registres lexicaux diffĂ©rents, peut-ĂȘtre mĂȘme des rapprochements analogiques avec l’idĂ©e du in solidum, mais interdit toujours d’en faire une entitĂ© sociologique Ă  mĂȘme d’expliquer l’ordonnancement et le fonctionnement de notre sociĂ©tĂ©. Le raisonnement selon la logique du comme si » est ici tout Ă  fait pernicieux. 30 À cet Ă©gard, il est prĂ©fĂ©rable de rester durkheimien et, comme le fait l’auteur de De la division du travail social, de penser fonctionnellement la solidaritĂ©. Le fameux distinguo qu’il introduit entre sociĂ©tĂ© de solidaritĂ© mĂ©canique » et sociĂ©tĂ© de solidaritĂ© organique » – purement nominal en l’occurrence – repose moins sur la description fine des comportements des individus de ces deux types de sociĂ©tĂ© que sur la comprĂ©hension de la structure propre de celles-ci – leur degrĂ© de division du travail social, selon sa terminologie – et donc, la nature de la solidaritĂ© Ă  l’Ɠuvre – similitude, dans un cas ; complĂ©mentaritĂ©, dans l’autre. DĂšs lors, partage des croyances, imitation des comportements, expression de sentiments communs, etc., peuvent exister dans les deux cas, ce n’est pas ce qui les distingue. Ce qui les distingue est l’opĂ©rativitĂ© sociale de la solidaritĂ© qu’elles mobilisent – unitĂ© par similaritĂ©, d’une part ; unitĂ© par interdĂ©pendance, d’autre part. Pour l’exprimer autrement, la leçon durkheimienne concernant la solidaritĂ© » appelle Ă  porter d’abord son attention Ă  l’échelle sociale Ă  laquelle il faut la rapporter. 31 Suivons la leçon Ă  l’échelle de nos sociĂ©tĂ©s de dĂ©mocratie providentielle, d’État providence toujours plus largement dĂ©ployĂ©, quel rĂŽle et quelle place fonctionnels pourrait tenir la prĂ©tendue solidaritĂ© familiale » ? On peut rĂ©pondre d’une formule la portion congrue. La production des biens, l’éducation, les soins de santĂ©, l’amĂ©nagement de l’environnement et les multiples autres dimensions de la vie sociale, tout cela Ă©chappe largement Ă  l’emprise de la famille, quelle que soit son extension. Lui reste indĂ©niablement ce que l’on a tendance aujourd’hui Ă  rassembler sous l’appellation de care et qui recouvre autant des actes matĂ©rialisĂ©s que des expressions affectives parfois ambivalentes. Certainement aussi, une large part de ce que l’on fera relever des relations intimes affectivo-sexuelles et des dĂ©viances y affĂ©rentes – pour lesquelles on ne mobilise gĂ©nĂ©ralement pas le lexique de la solidaritĂ© ». Pour autant, cela fait-il de la famille une instance de solidaritĂ© Ă  l’échelle de la sociĂ©tĂ© ? Ou, pour mieux l’énoncer, cela fait-il d’elle le lieu d’une solidaritĂ© distinctive, autonome, spĂ©cifique, qui organise diffĂ©remment le rapport de l’individu au collectif de la solidaritĂ© socialement organisĂ©e ? 32 Évidemment, non. Le rĂ©siduel de solidaritĂ©, si l’on peut s’exprimer ainsi, que nous y rencontrons n’est en rien alternatif, ni mĂȘme complĂ©mentaire – au sens strict de l’expression –, de la forme organisĂ©e socialement de la solidaritĂ©, de la dĂ©mocratie providentielle, selon la formule que nous avons adoptĂ©e. Si la notion de care a peut-ĂȘtre contribuĂ© Ă  le faire accroire, le discours politique l’a fait sans vergogne. Encore que la premiĂšre n’y incite pas outre mesure. Certains travaux de sciences Ă©conomiques et sociales avaient amplement montrĂ© que la famille se mobilisait d’autant mieux dans la prise en charge des siens que des programmes de politiques sociales venaient l’appuyer [24]. La proposition mĂ©rite d’ĂȘtre considĂ©rĂ©e avec attention et, possiblement Ă©largie Ă  bien des domaines de la vie sociale. Elle souligne, en tout cas, qu’au sein de nos sociĂ©tĂ©s il ne saurait ĂȘtre constatĂ© de pratiques familiales de type solidariste au sens strict du in solidum distinctives et exclusives donc. On ne constate que des Ă©changes au sein d’un systĂšme de parentĂ© largement conditionnĂ©s par la forte prĂ©sence des solidaritĂ©s publiques [25]. 33 En somme, la part rĂ©siduelle que l’on qualifie de solidaritĂ© familiale » mĂ©rite-t-elle vraiment de soutenir cette appellation ? Peut-on raisonnablement penser qu’il s’agit d’une figure singuliĂšre de la solidaritĂ©, distincte de la solidaritĂ© collectivement organisĂ©e ? N’a-t-on pas seulement affaire Ă  une forme d’allure solidariste engageant spĂ©cifiquement les membres d’une mĂȘme famille, comme, en certaines occasions, on a pu dĂ©celer de la solidaritĂ© villageoise », de la solidaritĂ© de voisinage », voire de la solidaritĂ© ouvriĂšre » ou de la solidaritĂ© maffieuse », derriĂšre des pratiques d’entraide, de collusion, de soutien, de protection, etc., mises en Ɠuvre, le plus souvent conjoncturellement, Ă  l’échelle des groupes sociaux considĂ©rĂ©s ? Il n’empĂȘche, on n’y aura dĂ©tectĂ© aucun principe de structuration d’un ordre social dĂ©fini [26]. Ces solidaritĂ©s-lĂ  ne peuvent prendre de signification sociologique spĂ©cifiĂ©e dans nos sociĂ©tĂ©s, bien qu’elles vĂ©hiculent beaucoup de sens sur les plans idĂ©ologique et politique. Lorsque, par exemple, il est question de faire triompher la cause du prolĂ©tariat peuple et de son affranchissement de la domination bourgeoise Ă©lite, ou celle de la dĂ©croissance Ă©conomique et du retour aux valeurs de la proximitĂ©, ou, encore, celle d’un engagement sectaire que l’on professe. Ce dont la sociologie n’en peut mais. Remarques terminales pour s’affranchir d’une notion-Ă©cran 34 Notons, en premier lieu, que si la notion de solidaritĂ© familiale garde un tel pouvoir de sĂ©duction thĂ©orique c’est probablement parce que, comme la notion de famille elle-mĂȘme, elle est toute imprĂ©gnĂ©e de nos idĂ©ologies sociales. Nonobstant les confrontations sociales – rarement dĂ©menties depuis la RĂ©volution française – portant sur la famille, son organisation, ses prĂ©rogatives, sa place dans l’ordonnancement social, il est remarquable que ces derniĂšres viennent toujours conforter l’idĂ©e que la famille Ă  laquelle on se rĂ©fĂšre procĂšde d’un invariant – mĂ©taphysique ou anthropologique – qui lui confĂšre sa nature propre. Une essence de la famille en quelque sorte. Il subsiste notamment, aujourd’hui toujours, un fond culturel qui tend Ă  reconnaĂźtre Ă  la famille une fonction principielle, quelquefois hiĂ©rarchique, dans l’établissement ordonnĂ© du monde social. Base » de la sociĂ©tĂ©, expression contemporaine d’une loi » anthropologique premiĂšre, Ă©manation d’une pulsion primordiale de l’individu, plus petite unitĂ© Ă©conomico-sociale de la sociĂ©tĂ© et nombre d’autres formules d’évidence de ce type constituent ce fond culturel dont on peut faire l’hypothĂšse qu’il s’enracine dans l’histoire longue de nos sociĂ©tĂ©s. 35 De ce point de vue, la notion de solidaritĂ© familiale » a des relents de sociĂ©tĂ© clanique quand celle-ci subordonne tout exercice de la volontĂ© individuelle Ă  celle du groupe. Quand, finalement, l’individu s’efface devant le groupe et le groupe s’affirme devant tous les autres formant la sociĂ©tĂ© ou, plus exactement, l’environnement social. C’est cette rĂšgle qui prĂ©valait dans l’organisation des sociĂ©tĂ©s barbares » lorsque le lien de sang primait l’ordre politique et social. Ce qui n’interdisait nullement, notons-le en passant, qu’elles pouvaient Ă©lire dĂ©mocratiquement une femme Ă  la tĂȘte de leur groupe ou Ă  l’entretien de leurs croyances religieuses [27]. Ici, la famille, c’est-Ă -dire le clan familial, et sa forte solidaritĂ© – au sens du in solidum envisagĂ© plus haut – forment ordre social. Ils se confondent. Ce n’est pas autre chose qu’envisageait Durkheim sous l’appellation de solidaritĂ© mĂ©canique » et qu’il imputait aux sociĂ©tĂ©s de faible division du travail dites aussi, dans le vocabulaire Ă©volutionniste de l’époque, sociĂ©tĂ©s archaĂŻques. Rien donc de trĂšs surprenant Ă  ce que cette vision d’un familial faisant bloc, d’une aussi nĂ©cessaire qu’impitoyable solidaritĂ© des constituants individuels du groupe familial, ait laissĂ© quelques traces dans notre imaginaire social. N’est ici Ă  l’Ɠuvre qu’un processus ordinaire de transmission et de perdurance de nos croyances sociales. Bref, la famille unie, solidaire, pilier de la sociĂ©tĂ©, a de quoi hanter notre imaginaire social [28]. C’est en ce sens que nous envisageons la solidaritĂ© familiale » comme un syntagme affectif ». 36 C’est dire d’une autre maniĂšre que la famille » reprĂ©sente de fait une valeur sociale dont on ne saurait ignorer l’importance et l’influence dans notre vision du monde social. Ce qui s’y rattache, c’est-Ă -dire toutes les occurrences pratiques qui mobilisent le syntagme famille », depuis le nom de famille jusqu’à l’esprit de famille, sans oublier les enjeux conflictuels qui la traversent, est aussi frappĂ© du mĂȘme sceau axiologique. À charge, donc, pour le sociologue de rester wĂ©bĂ©rien, de comprendre les valeurs qui habitent notre monde social et le rapport qu’il entretient avec celles-ci, partant, de se soumettre au devoir Ă©lĂ©mentaire du contrĂŽle scientifique de soi-mĂȘme » [29]. En termes plus directs s’agissant de notre propos, il lui revient de ne pas projeter sur les pratiques sociales d’échanges intrafamiliaux qu’il observe la valeur imaginaire du in solidum qui, peut-ĂȘtre, le ronge. Bref, Ă  ne cĂ©der ni aux sirĂšnes des slogans de l’élite du welfare, ni aux facilitĂ©s rhĂ©toriques du moment gĂ©nĂ©ralement grosses de ces valeurs imaginaires. 37 DĂšs lors, et ce sera notre seconde remarque, il n’est pas soutenable, dans nos sociĂ©tĂ©s, d’affirmer que la protection sociale de l’individu passe nĂ©cessairement par la mobilisation de la solidaritĂ© familiale ». Si protĂ©ger » c’est mettre en Ɠuvre les moyens qui empĂȘcheront ou attĂ©nueront la rĂ©alisation d’un risque aux consĂ©quences dommageables et pour l’individu et pour la sociĂ©tĂ©, nul doute que nos sociĂ©tĂ©s – mais peut-ĂȘtre toute sociĂ©tĂ© – sont l’instance premiĂšre de protection de l’individu. Il faut faire coĂŻncider la sociĂ©tĂ© et la famille, ramener la sociĂ©tĂ© Ă  l’échelle de la famille, pour que cette derniĂšre puisse ĂȘtre regardĂ©e comme l’instance effective et le cƓur de la protection de l’individu. C’est ce que les visions extrapolatrices d’un Le Play, par exemple, avaient imaginĂ© dans des fresques reconstitutives de l’évolution de la famille et de la sociĂ©tĂ©. C’est, cependant, ce que l’anthropologie, la sociologie ou l’histoire, se gardent d’affirmer depuis quelque temps maintenant. Nous l’avons Ă©voquĂ©, l’organisation clanique familiale, c’est d’abord de la sociĂ©tĂ© avant d’ĂȘtre de la famille, au sens de l’imaginaire qui sert de support aux reprĂ©sentations que nous en donnons. 38 Pourtant, spontanĂ©ment, nous sommes amenĂ©s Ă  penser que tout individu Ă©tant insĂ©rĂ©, dĂšs sa naissance, dans un tissu de relations dĂ©signĂ©es, reçues et vĂ©cues comme des relations familiales, c’est d’abord sa famille qui va le protĂ©ger. Et – irrĂ©fragable image symbolique – de penser au nourrisson cet ĂȘtre frĂȘle et fragile, dĂ©pourvu de tout autre moyen que ses vagissements pour affronter le monde et donc menacĂ© de toutes parts de succomber aux pires maux sans la protection, bienveillante ajoute-t-on le plus souvent, de ses proches. Sans un entourage familial en quelque sorte spontanĂ©ment et fonciĂšrement attentif et protecteur, les premiers temps de la vie seraient bien difficiles. De fait, est-ce bien de cette protection que chacun bĂ©nĂ©ficie, Ă  tout le moins dans le trĂšs grand nombre des cas. Ce qui est trĂšs heureux pour la survie de l’espĂšce, s’empresse de renchĂ©rir l’ironique. Encore que, l’historien ou le psychologue ne se prive jamais d’assombrir le tableau en nous rappelant que le rejet de l’enfant, son abandon donc, se pratique toujours en nombre suffisant pour que des mesures » dont le ressort relĂšve de la collectivitĂ©, des mesures sociales donc, viennent y pallier. Mais n’ergotons pas, le fait massif, largement Ă©tabli empiriquement, est que les vagissements cesseront puisque des tĂȘtes familiĂšres se seront penchĂ©es sur le berceau. 39 Aussi, de ces maniĂšres de faire, pour le moins ancestrales, pour ne pas dire archaĂŻques, n’est-il pas lĂ©gitime d’infĂ©rer que la protection de tout individu commence par ses proches ? Que la famille est le cƓur de la protection » ? Ce que le droit d’une certaine maniĂšre viendrait sanctifier, en tout cas conforter, en faisant obligation au parent de veiller Ă  l’entretien et Ă  la protection de son enfant. 40 Malheureusement, pour le sociologue, ce n’est lĂ  qu’une Ă©vidence premiĂšre », comme l’aurait Ă©noncĂ© Bachelard – ce qu’il tenait pour une premiĂšre source d’erreur scientifique. Nous l’avons dit, il y a indubitablement un problĂšme de mĂ©thode quant au raisonnement qu’il lui reviendra de suivre. Difficile pour lui, en effet, d’infĂ©rer d’une pratique, mĂȘme massive, voire hĂ©gĂ©monique, qu’elle puisse tirer d’elle-mĂȘme sa raison d’ĂȘtre. D’autant que, s’agissant des sociĂ©tĂ©s humaines pour le moins, la part que l’on pouvait attribuer Ă  l’instinct s’est trouvĂ©e fortement contrebalancĂ©e par celle dĂ©rivant des facultĂ©s d’adaptation et d’innovation dont tĂ©moigne aussi l’ĂȘtre humain. Les dispositions » que le sociologue enfouit en tout individu sont toujours dĂ©jĂ  habitĂ©es d’une dimension sociale, c’est-Ă -dire, toujours dĂ©jĂ  façonnĂ©es par l’environnement social dans lequel celui-ci se trouve plongĂ©. L’habitus mis Ă  l’honneur par Bourdieu n’a pas d’autre vocation que de le rappeler et d’autoriser la reproduction, pour le grand nombre, de ce qui aura Ă©tĂ© acquis, jusques et y compris la propension Ă  la variation, pour peu qu’elle fasse partie des apprentissages. 41 Nous Ă©carterons donc toute façon de poser le problĂšme sociologique qui prĂ©suppose, pour fournir une rĂ©ponse, que soit admis qu’une loi gĂ©nĂ©rale du social – historique et principielle, Ă  la maniĂšre comtienne – ou tout Ă©quivalent tĂ©lĂ©ologique lui prĂ©side et en conditionne les faits d’observation. Toutes les sociologies du dĂ©voilement » sont Ă  ce prix et se rĂ©vĂšlent purement tautologiques. Nous lui prĂ©fĂ©rerons une autre dĂ©marche. Une dĂ©marche qui s’en tienne Ă  une maniĂšre de problĂ©matisation des donnĂ©es factuelles susceptibles d’ĂȘtre rassemblĂ©es. Lesquelles, soit dit en passant, forment tout autant l’environnement de l’individu que ses motivations psychologiques Ă  l’action. Sur cette base – ce qu’on appelle gĂ©nĂ©ralement les donnĂ©es du terrain » – l’interprĂ©tation hypothĂ©tique, sous contrĂŽle scientifique de soi-mĂȘme » pour reprendre la formule de Weber, peut avoir cours et s’engager dans le procĂšs hermĂ©neutique – qu’il soit de type gadamĂ©rien, wĂ©bĂ©rien ou autre, est une autre question. C’est aussi ce qu’on nomme plus couramment la dĂ©couverte scientifique. 42 C’est pourquoi, et pour en revenir Ă  la protection de l’individu social contemporain, il nous paraĂźt dĂ©cisif de penser ce dernier dans l’environnement social rĂ©el, actuel, qui est le sien. Donc, de procĂ©der Ă  la description la plus ajustĂ©e de celui-ci. Or, cet environnement est autant fourni par sa famille que par ce par quoi cette famille se trouve traversĂ©e, enserrĂ©e, balisĂ©e, si ce n’est contrainte. Ce qui revient d’abord Ă  dire que nous ne pouvons tenir la famille pour une entitĂ© sociale flottante, une forme autonome de sociabilitĂ© seulement marginalement contrainte par un environnement sociĂ©tal. Ce qu’énonce la fameuse et fumeuse cellule de base » de toute sociĂ©tĂ©, lorsqu’elle est entendue comme l’unitĂ© gĂ©omĂ©trique constitutive du social. Tout au contraire, la famille, tout ce que nous nommons famille – anthropologues et historiens ont su l’établir – est une forme sociale spĂ©cifiĂ©e, variablement organisĂ©e et rĂ©glementĂ©e selon son environnement social historique, et dans laquelle se trouve situĂ© l’individu. Ce, aussi bien au sens de ses coordonnĂ©es identificatoires que de son Ă©cologie culturelle. Pour faire image la famille n’est qu’une matrice sociale d’éclosion des individus. Cela paraĂźt banal et Ă©vident, mais cela entraĂźne qu’on ne peut la sĂ©parer de ce dont elle remplit la fonction, Ă  savoir la protection sociale, ou mieux, socialisĂ©e de l’individu. Partant, mĂȘme ce qui paraĂźt le moins contraint, le plus spontanĂ©, le plus gĂ©nĂ©reux ou empathique, relĂšve de cette fonction quand bien mĂȘme ses ressorts seraient-ils ancrĂ©s dans l’intime reprĂ©sentation que l’on a de sa famille. 43 En somme, et pour nous rĂ©sumer, la famille est d’abord celle de la sociĂ©tĂ© dans laquelle elle prend place. De lĂ , les formes, les agencements, les fonctions variables qu’elle a pu connaĂźtre et remplir au cours des temps. De lĂ  aussi les comprĂ©hensions, les valorisations, les normes – et leurs contestations – qui l’ont accompagnĂ©e au cours de ces mĂȘmes temps. On en tirera comme consĂ©quence sociologique que la famille n’est pas une entitĂ© sociale autonome, seulement inscrite de maniĂšre contingente dans une formation sociale dont les contraintes rendraient compte des formes Ă©volutives qu’elle aura admises, mais une modalitĂ© sociale d’inscription des individus adaptĂ©e aux caractĂ©ristiques majeures de la sociĂ©tĂ© considĂ©rĂ©e. 44 Partant, on ne saurait lui confĂ©rer la moindre autonomie ontologique – que ce soit sous forme d’invariant anthropologique ou sous celle de figure mythologique Ă©ternelle –, mais seulement lui attribuer l’autonomie relative des formes organisationnelles du social. Autrement dit, lui reconnaĂźtre le statut d’entitĂ© empirique conditionnelle. Ce qui entraĂźne que les Ă©changes que nous y rencontrons, et que l’on n’appelle solidaritĂ© familiale » que par facilitĂ© de langage, seront frappĂ©s du mĂȘme statut Ă©pistĂ©mologique. 45 DĂšs lors, la protection que ladite famille est en mesure d’apporter Ă  l’individu est Ă  comprendre comme une fonction sociale, et non comme une fonction familiale, de protection des siens. Du moins, tant que l’on situe sa comprĂ©hension Ă  l’échelle de la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre. Car les Ă©ventuelles stratĂ©gies familiales reposant sur l’élection des siens Ă  des fins de dĂ©jouer les mĂ©canismes gĂ©nĂ©raux de la rĂ©gulation sociale ne participent pas, ni de prĂšs, ni de loin, d’une logique de solidaritĂ© intrafamiliale, au sens clanique » oĂč nous l’avons entendue prĂ©cĂ©demment. Au mieux, comme il ressort des travaux de Alain Degenne et al. ou de Jean-Hugues DĂ©chaux portant sur le recours Ă  la famille dans la recherche d’emploi, il s’agit d’une modalitĂ© – d’ailleurs plus payante en milieu ouvrier que chez les cadres – concurrente des circuits officiels [30]. Non donc d’une stratĂ©gie familiale de confiscation des emplois Ă  des fins de constitution d’une entitĂ© rendue ainsi plus fermĂ©e Ă  son environnement et ses membres plus Ă©troitement interdĂ©pendants, ce que vise l’objectif solidaire. 46 Ainsi, la fonction de protection que peut remplir de nos jours la famille l’assume-t-elle d’abord dans un univers social lui-mĂȘme dĂ©jĂ  fortement organisĂ© pour assurer l’opĂ©rativitĂ© de cette protection. Ce que la famille – comprenons prĂ©cisĂ©ment l’ensemble instituĂ© de la parentĂ© – peut apporter aux siens prend corps dans la protection sociale tous azimuts dont bĂ©nĂ©ficie chaque individu dans notre sociĂ©tĂ©. Ce qui pourrait largement expliquer la modestie relative des types d’aide ainsi apportĂ©e – notable dans tous les travaux y affĂ©rents. Maintenant, s’agit-il d’une fonction rĂ©siduelle, complĂ©mentaire, substitutive ? Participe-t-elle de stratĂ©gies diffĂ©renciĂ©es des groupes sociaux ? Est-elle instrumentalisĂ©e par le pouvoir politique ? Etc. VoilĂ  autant de questions Ă  examiner indĂ©pendamment de celle de sa prĂ©tendue nature sociologique de solidaritĂ© ». Alors faut-il toujours faire usage du syntagme de solidaritĂ© familiale », mĂȘme s’il ne doit ĂȘtre compris qu’emboĂźtĂ© dans la solidaritĂ© sociale organisĂ©e ? En toute rigueur on devrait pouvoir en faire l’économie. Principalement parce qu’il connote l’idĂ©e fausse que coexistent, au sein de notre sociĂ©tĂ©, deux principes normatifs de structuration de la solidaritĂ©. La famille », peut-on affirmer sans ambages, n’assure plus de rĂŽle majeur dans l’entreprise de solidarisation des individus Ă  l’échelle de la sociĂ©tĂ©. C’est un effet imaginaire d’hystĂ©rĂ©sis que de le lui prĂȘter. Mais Ă  l’image de bien d’autres syntagmes tout aussi affectifs » – tels ceux de sociĂ©tĂ© », de famille » – nous ne savons le faire sans recourir Ă  des formulations quelque peu contournĂ©es. Par dĂ©faut de concepts adĂ©quats ? Par imprĂ©cision sĂ©mantique ? Peut-ĂȘtre. Aussi recourt-on avec facilitĂ© – et nous avons Ă  faire amende honorable – au syntagme affectif » [31]. Notes [1] Je tiens expressĂ©ment Ă  remercier Jean-Hugues DĂ©chaux pour les remarques et suggestions qu’il m’a faites sur une premiĂšre version de ce texte. Elles m’ont engagĂ© Ă  affiner, prĂ©ciser et assumer mon propos. Elles m’ont aussi confortĂ© dans l’idĂ©e que la rĂ©flexion scientifique gagne plus Ă  procĂ©der de maniĂšre critique qu’à accumuler de maniĂšre syncrĂ©tique des rĂ©fĂ©rences. [2] Par idĂ©ologique », nous entendons ici ce qui relĂšve d’un systĂšme de croyances suffisamment consistant pour conduire lĂ©gitimement un individu Ă  l’action. IdĂ©ologique » recouvre donc en partie ce que l’on nomme aussi social ». C’est-Ă -dire, ce qui s’impose naturellement comme constitutif de ce dernier. [3] Jean-Hugues DÉCHAUX, L’entraide familiale au long de la vie. Des pratiques inĂ©galement rĂ©parties », Informations sociales, Cnaf, n° 137, 2007, p. 29. [4] Jean-Hugues DÉCHAUX, Les Ă©changes dans la parentĂ© accentuent-ils les inĂ©galitĂ©s ? », SociĂ©tĂ©s contemporaines, n° 17, 1994, p. 75. [5] Pour Weber, sens subjectif et sens objectif portent sur les mĂȘmes objets empiriques. Il s’agit donc, comme le note Jean-Marc TETAZ, d’une distinction entre deux perspectives sur la rĂ©alitĂ© empirique du monde social et culturel, et non de la distinction de deux niveaux ou de deux ordres le monde empirique d’une part, les valeurs transcendantes de l’autre ». Voir Jean-Marc TETAZ, “Sens objectif”. La fondation de l’interprĂ©tation du sens de l’agir social dans une thĂ©orie philosophique du sens », Archives de sciences sociales des religions, n° 127, 2004, p. 177. [6] Michel CHAUVIÈRE, Michel MESSU, Les apories de la solidaritĂ© familiale », Sociologie du travail, vol. 45, n° 3, dĂ©cembre 2003, pp. 327-342. [7] Pour rappel, la tanguysation des relations intra-familiales est l’expression qui a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă  la maniĂšre dont un reprĂ©sentant de la progĂ©niture, sorti de l’enfance, parfois fort bien insĂ©rĂ© socialement, pouvait se complaire Ă  vivre et bĂ©nĂ©ficier des services et de la chaleur de sa famille d’origine. L’expression s’est imposĂ©e Ă  la suite du succĂšs populaire du film de Étienne Chatiliez, Tanguy 2001. [8] Ce dont rendent compte, Ă  leur maniĂšre, les rĂ©gularitĂ©s statistiques Ă©tablies selon le statut social, la gĂ©nĂ©ration, le sexe, etc. Voir Jean-Hugues DÉCHAUX, 1994, art. cit. ; Nicolas HERPIN, Jean-Hugues DÉCHAUX, Entraide familiale, indĂ©pendance Ă©conomique et sociabilitĂ© », Économie et statistique, n° 373, 2004, p. 3-32. Sachant que ces derniĂšres tĂ©moignent de ce que Weber aurait appelĂ© un agir en entente » [EinverstĂ€ndnishandeln] dont l’idĂ©altype nous fait dĂ©faut pour pouvoir l’interprĂ©ter comme un agir en sociĂ©tĂ© » [Gesellschaftshandeln]. [9] Cette qualification procĂšde du petit texte Ă©crit par Freud et intitulĂ© Le Roman familial des nĂ©vrosĂ©s, en commentaire du livre de Otto Rank, Le Mythe de la naissance du hĂ©ros 1909. Ledit roman » s’élaborerait dans le fantasme de la mise Ă  distance du rĂ©el familial, singuliĂšrement paternel, pour rĂ©investir celui-ci des attentes parfois déçues opĂ©rant depuis l’instance d’un Sur-moi ainsi façonnĂ©. [10] Une fois encore on peut en appeler aux arguments que dĂ©veloppe Weber lorsqu’il cherche Ă  Ă©tablir Ă  quel type de sens peut prĂ©tendre accĂ©der le sociologue. Dans son fameux exemple du jeu de cartes, Max Weber distingue nettement les rĂšgles normatives du jeu » – sorte de droit naturel » du jeu autorisant par sa discussion une jurisprudence » du jeu – et les rĂšgles pratiques » qu’appliquent les joueurs au cours de leur partie. Ceux-ci, sans ignorer totalement les premiĂšres, peuvent les mĂ©connaĂźtre, les interprĂ©ter Ă  leur guise, cela n’interdit pas que la partie puisse se dĂ©rouler. C’est mĂȘme cette mĂ©connaissance ou interprĂ©tation subjective qu’il conviendra de prendre en considĂ©ration si un observateur un sociologue souhaitait dĂ©crire et expliquer le dĂ©roulement de la partie. Mais il ne pourrait valablement procĂ©der Ă  l’explication qu’en se rĂ©fĂ©rant au niveau normatif du jeu pour expliquer, par exemple, le tour singulier qu’a pris la partie, eu Ă©gard donc la mĂ©connaissance des joueurs. Cette distinction entre les rĂšgles empiriquement suivies et les normes idĂ©ales – que Weber nomme dogmatiques – sont au fondement de la dĂ©marche mĂ©thodologique de la sociologie wĂ©bĂ©rienne et engage le sociologue Ă  ne pas commettre la mĂ©tabase du sens, c’est-Ă -dire Ă  passer subrepticement du sens subjectif » – celui que suivent empiriquement les acteurs – au sens objectif » – celui qui rend compte de la cohĂ©sion d’ensemble, singuliĂšrement du social ». [11] Marie-ThĂ©rĂšse JOIN-LAMBERT dir., Les Politiques sociales, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques & Dalloz, 1994. [12] Voir notamment William GENIEYS, Patrick HASSENTEUFEL, Entre les politiques publiques et la politique l’émergence d’une Ă©lite du Welfare », Revue française des affaires sociales, n° 4, 2001, pp. 41-50 ; William GENIEYS, L’Élite des politiques de l’État, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2008. [13] William Genieys estime que L’accroissement des modes d’expression du pluralisme politique, phĂ©nomĂšne plus ou moins avĂ©rĂ© par la pratique de la gouvernance dĂ©mocratique dans les États occidentaux, conduit en retour Ă  l’avĂšnement de nouvelles pratiques Ă©litaires dont l’action tend de plus en plus Ă  Ă©chapper au contrĂŽle politique », in L’émergence d’élites programmatiques face Ă  la mutation de l’État français », Institut de CiĂšncies PolĂ­tiques i Socials ICPS Mallorca, 244, 2007, pral. 08008 Barcelona España [14] Sur la question du suffrage familial, voir Anne VERJUS, Vote familialiste et vote familial. Contribution Ă  l’étude du processus d’individualisation des femmes dans la premiĂšre partie du xixe siĂšcle », GenĂšses, n° 31, 1998, pp. 29-47 ; et Le Cens de la famille. Les femmes et le vote, 1789-1848, Belin, 2002. [15] Pour des dĂ©veloppements plus complets sur la question du ciblage des allocations familiales, voir Julien DAMON, La mise sous condition de ressources des allocations familiales une discrimination vraiment positive ? », Revue de droit sanitaire et social, vol. 44, n° 2, 2008, pp. 336-352 ; Gilles SÉRAPHIN, L’universalitĂ© en dĂ©bat retour sur un “fondement’’ de la politique familiale française », in Margunn BJORNHOLT, Anca DOHOTARIU Guest editors, Les Annales de l’UniversitĂ© de Bucarest Les politiques familiales en contexte europĂ©en », SĂ©rie Sciences Politiques, vol. XVII, n° 1, 2015, pp. 55-73, [16] À titre indicatif, pour le monde anglo-saxon Anthony GIDDENS, The Transformation of Intimacy Sexuality, Love and Eroticism in Modern societies, Cambridge, Polity Press, 1992 traduit en français en 2004 aux Éditions du Rouergue. Pour le monde francophone François de SINGLY, Le Soi, le couple et la famille, Nathan, 1996. [17] Au dĂ©but des annĂ©es 2000, un thĂšme social » s’impose la montĂ©e des incertitudes ». LiĂ© Ă  la persistance d’un fort taux de chĂŽmage, aux difficultĂ©s gestionnaires des systĂšmes de protection sociale, Ă  la globalisation des Ă©changes et Ă  la rĂ©volution internet », le thĂšme fait dĂ©bat dans la sociĂ©tĂ©. Il est largement repris par les sociologues et, en 2012, l’AISLF tient son 19e CongrĂšs sous forme d’augure Penser l’incertain ? [18] Voir Michel MESSU, Du familialisme au parentalisme quels nouveaux enjeux pour la politique familiale française ? », communication au Colloque Le nouveau contrat familial, INRS-MontrĂ©al, 28-29 fĂ©vrier 2008. Non publiĂ©. [19] Pour plus d’information voir, entre autres, les contributions de RĂ©mi LENOIR, GĂ©nĂ©alogie de la morale familiale, Seuil, 2003 ; Michel CHAUVIÈRE, Virginie BUSSAT, Famille et codification. Le pĂ©rimĂštre du familial dans la production des normes, La Documentation française, 2000 ; Jacques COMMAILLE, Claude MARTIN, Les enjeux politiques de la famille, Bayard, 1998 ; Michel MESSU, Les Politiques familiales du natalisme Ă  la solidaritĂ©, Les Éditions ouvriĂšres, 1992. [20] Les deux Ă©ditions ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par Privat, Toulouse. [21] JĂ©rĂŽme MINONZIO, Les “solidaritĂ©s familiales” dans l’espace public. Émergence et controverses dans le cas de la dĂ©pendance des personnes ĂągĂ©es », Revue des politiques sociales et familiales, n° 77, 2004, pp. 7-19. [22] Voir Michel MESSU, De la mĂ©thode en sociologie. Livre I Pour une Ă©pistĂ©mologie modeste en sociologie. Livre II De la mĂ©thode sans mĂ©thodologisme, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2016. [23] Ibid. [24] Voir, par exemple Françoise LE BORGNE-UGUEN, Muriel REBOURG dir., L’entraide familiale rĂ©gulations juridiques et sociales, Presses universitaires de Rennes, 2012. [25] Dont les failles », les trous » et autres manquements leur sont, le plus souvent, redevables et font, gĂ©nĂ©ralement, l’objet de demandes d’extension Ă  l’endroit de ces solidaritĂ©s publiques ». Ce que la mĂ©taphore du filet de sĂ©curitĂ© » traduit assez bien. [26] Ainsi, les solidaritĂ©s paysannes » longtemps opĂ©ratoires dans un contexte d’agriculture familiale n’ont plus guĂšre de poids dans le cadre d’une agriculture industrialisĂ©e et soumise aux contrats juridiques avec les firmes agro-alimentaires et les banques. A fortiori ne peuvent-elles en avoir Ă  l’échelle de la sociĂ©tĂ© globale. Le paysan en dĂ©tresse d’aujourd’hui en appelle Ă  la solidaritĂ© nationale ». [27] On consultera avec intĂ©rĂȘt l’ouvrage de Vincent AUCANTE, Barbares le retour, DesclĂ©e de Brouwer, 2016. [28] Nous entendons imaginaire social » dans le sens que lui a donnĂ© Maurice GODELIER dans L’imaginĂ©, l’imaginaire et le symbolique, CNRS-Éditions, 2015. [29] Max WEBER, L’objectivitĂ© de la connaissance » in Essai sur la thĂ©orie de la science, trad. et intro. de Julien FREUND, Plon, 1965, p. 183. [30] Alain DEGENNE, IrĂšne FOURNIER, Catherine MARRY, Lise MOUNIER, Les relations au cƓur du marchĂ© du travail », SociĂ©tĂ©s contemporaines, 1991, pp. 75-97 ; Jean-Hugues DÉCHAUX, Les Ă©changes dans la parentĂ©... », art. cit. [31] C’est probablement pourquoi les travaux les plus aigus portant sur les relations et les Ă©changes au sein des rĂ©seaux familiaux, alors qu’ils Ă©tablissent trĂšs nettement les limites sĂ©mantiques de la notion de solidaritĂ© familiale », ne peuvent gĂ©nĂ©ralement en faire l’économie dans leurs dĂ©veloppements et, particuliĂšrement, leurs intitulĂ©s. On pensera Ă  AgnĂšs Pitrou, dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©e, Ă  Martine SĂ©galen qui n’hĂ©site pas Ă  parler des indispensables solidaritĂ©s familiales », Ă  IrĂšne ThĂ©ry, Florence Weber, Claudine Attias-Donfut, etc. qui, dans l’ouvrage collectif dirigĂ© par Serge Paugam, Repenser la solidaritĂ© PUF, 2007, font exploser la notion sans pouvoir s’en dĂ©partir. Plus rĂ©cemment, Marianne Modak et al., aprĂšs Claude Martin, se posent explicitement la question de savoir s’il convient de parler de solidaritĂ© » s’agissant des Ă©changes de services et de soins assurĂ©s par les femmes au sein du rĂ©seau familial, mais leurs rĂ©flexions sont prĂ©sentĂ©es – par l’éditeur il est vrai – afin que vivent les solidaritĂ©s familiales et qu’elles conservent leur force... » SolidaritĂ©s familiales ? », Nouvelles questions fĂ©ministes, vol. 37, 2018/1. Cette mĂ©taphore constitue le sous-titre du CrĂ©puscule des idoles ou comment philosopher Ă  coups de marteau. Nietzsche qui dans son oeuvre prĂŽne une Umwertung, une transvaluation ou inversion de toutes les valeurs, entre ici en guerre d'une façon qui lui est propre par l'auscultation des 'idoles'. Que faut-il entendre par lĂ  ? " Quant aux idoles qu'il s'agit d'ausculter, rĂ©pond Nietzsche, ce ne sont cette fois pas des idoles de l'Ă©poque, mais des idoles Ă©ternelles, que l'on frappe ici du marteau comme d'un diapason - il n'est pas d'idoles plus anciennes, plus sĂ»res de leur fait, plus enflĂ©es de leur importance... Pas non plus de plus creuses... Cela ne les empĂȘche pas d'ĂȘtre celles auxquelles on croit le plus. Aussi, surtout dans le cas de la plus distinguĂ©e d'entre elles, ne les appelle-t-on jamais des idoles... " CrĂ©puscule des idoles, Avant-propos, . Les idoles ne se prĂ©sentent pas comme telles, c'est lĂ  le merveilleux effet de la croyance ou de la volontĂ© de vĂ©ritĂ©. Il faut les sonder, et pour ce faire utiliser le marteau afin de laisser entendre Ă  qui veut entendre, qui a des oreilles le son qu'elles rendent. PlutĂŽt que de fracasser, le marteau nietzschĂ©en ausculte, un peu Ă  la façon du maillet du mĂ©decin procĂ©dĂ© mĂ©dical de percussion, inventĂ© en Allemagne . Il ne s'agit pas de voir - car au crĂ©puscule bien malin qui peut voir -, mais d'Ă©couter ce qui se passe Ă  l'intĂ©rieur, dans la fausse profondeur des valeurs. Nietzsche s'adresse Ă  l'ouĂŻe, ce qui est assez peu commun chez les philosophes pour ĂȘtre soulignĂ©. Nietzsche est musicien. Or, la mĂ©taphore elle aussi est musique. L'usage philosophique de la mĂ©taphore n'est donc pas indiffĂ©rent ; il est propre Ă  un style. C'est ce qu'il s'agit de comprendre. Une tentation est de faire de Nietzsche un poĂšte-philosophe, et de marquer par lĂ  sa singularitĂ© dans les rangs des penseurs. Cette affiliation manque le sens du concept nietzschĂ©en de style et ne lui rend pas hommage, quoi qu'on en dise. Si notre philosophe part en guerre contre le dogmatisme, il tire aussi de belles salves Ă  l'encontre de la superstition du sens allĂ©gorique dont tĂ©moignent " ces hybrides, notamment, philosophes poĂ©tisants et artistes philosophants " Humain, trop humain, I, § 110 . SpĂ©ciale dĂ©dicace aux heideggeriens... Il ne faut pas oublier que Nietzsche, avant de se prĂ©senter comme psychologue, revendique la profession de philologue. Il exige d'ĂȘtre lu avec patience, vigilance et modestie. Il Ă©crit non pas un discours mais un texte, offert au souci philologique. Et beaucoup de tournures et surtout de saillies du texte sont lĂ  pour " tromper la vigilance, toujours mĂ©diocre, des philosophes " Par-delĂ  bien et mal, § 19 . Qu'en est-il alors de cet outil, la mĂ©taphore nietzschĂ©enne ? Elle fait sonner les choses tout en marquant l'insuffisance du langage et la fausse Ă©vidence de la clartĂ©. Surtout pas de bergsonisme ici ! L'usage de la mĂ©taphore, le privilĂšge qui lui est donnĂ© sur ce qu'on appelle le concept, participe de la critique du discours philosophique de sa dĂ©construction , mais ouvre aussi les possibilitĂ©s d'un rapport constitutif au sens. Car la mĂ©taphore est originelle ; c'est le concept qui se greffe sur un rĂ©seau mĂ©taphorique. Pour le philosophe matĂ©rialiste, le multiple est avant l'un, et la mĂ©taphore fait rĂ©sonner d'emblĂ©e la multitude Ă  qui sait entendre. Puisqu'elle se passe du schĂ©ma classique de la dĂ©signation oĂč un signe rĂ©fĂšre une chose par lui dĂ©limitĂ©e , la mĂ©taphore suggĂšre un rĂ©gime de signification par dĂ©tours oĂč ce qui est dit n'est dit que par dĂ©calage. Nietzsche veut Ă©viter par lĂ  l'Ă©gypticisme " tout ce que les philosophes ont maniĂ© depuis des millĂ©naires, ce n'Ă©taient que des momies d'idĂ©es ; rien de rĂ©el n'est sorti vivant de leurs mains. Ils tuent, ces Messieurs les idolĂątres des notions abstraites, ils empaillent lorsqu'ils adorent, ils mettent tout en pĂ©ril de mort lorsqu'ils adorent " CrĂ©puscule des idoles, La 'Raison' dans la philosophie, § 1 . Face Ă  cette momification si commune aux concepts philosophiques, le principal trait de la mĂ©taphore est d'offrir une pluralitĂ© d'interprĂ©tations. Elle fait le tour du propriĂ©taire, comme dit Derrida... " La mort de l'interprĂ©tation, c'est de croire qu'il y a des signes, des signes qui existent premiĂšrement, originellement, rĂ©ellement, comme des marques cohĂ©rentes, pertinentes et systĂ©matiques. La vie de l'interprĂ©tation, au contraire, c'est de croire qu'il n'y a que des interprĂ©tations " Foucault, " Nietzsche, Freud, Marx ", Colloque de Royaumont, . Le texte qui suit Ă  prĂ©sent est la transcription d'un cours donnĂ© par Patrick Wotling 1998 , grand spĂ©cialiste du philosophe, auteur de nombreuses traductions et, entre autres, d'un ouvrage intitulĂ© Nietzsche et le problĂšme de la civilisation 1995 . Il dĂ©cline ici les principaux sens Ă  donner Ă  la mĂ©taphore nietzschĂ©enne " philosopher Ă  coups de marteau " image de la force, outil de destruction, instrument d'Ă©valuation, image de la crĂ©ation Il est tentant de se prĂ©cipiter sur une comprĂ©hension de l'image qui semble s'offrir ou s'imposer spontanĂ©ment le marteau serait une image de la force, ou mĂȘme de la violence - il prolongerait donc l'image de la hache ou de la cognĂ©e du bĂ»cheron qu'utilisait dĂ©jĂ  le § 37 de Humain, trop humain I, Ă  propos de la thĂšse dĂ©fendue par Paul RĂ©e l'homme moral n'est pas plus proche du monde intelligible que l'homme physique " cette proposition, durcie et aiguisĂ©e sous les coups de marteau de la connaissance historique, pourra peut-ĂȘtre un jour, dans un avenir indĂ©terminĂ©, ĂȘtre la hache que l'on portera Ă  la racine mĂȘme du 'besoin mĂ©taphysique' ". Le marteau serait donc un outil de destruction, ce qui semble s'accorder avec une opinion courante relative Ă  Nietzsche, Ă  savoir la virulence dont il fait preuve et dans son expression, et dans son projet dans son projet, parce qu'il est trop communĂ©ment admis que son objectif serait la destruction pure et simple du christianisme et de la morale - vision d'un Nietzsche essentiellement critique et destructeur. Apportons une premiĂšre nuance les commentateurs les plus prĂ©cis ajoutent qu'en rĂ©alitĂ©, l'objet sur lequel va s'abattre le marteau sont les tables de valeurs anciennes, ce Ă  quoi l'on a cru jusqu'Ă  prĂ©sent, c'est-Ă -dire encore les 'idoles'. Il s'agit donc d'un marteau Ă  usage axiologique. Mais on voit que cette prĂ©cision modifie considĂ©rablement la portĂ©e de l'image puisqu'alors apparaĂźt une rĂ©fĂ©rence directe Ă  un prĂ©dĂ©cesseur de Nietzsche en matiĂšre de destruction des idoles MoĂŻse, qui dĂ©truit le veau d'or - d'oĂč la nĂ©cessitĂ© de s'interroger sur le rapport entre la logique religieuse et la logique de la pensĂ©e nietzschĂ©enne la pensĂ©e de l'Ă©ternel retour nous y conviera . Mais en outre, un examen plus approfondi fait apparaĂźtre la surdĂ©termination de la mĂ©taphore. Car le marteau dĂ©signe Ă©galement une piĂšce intĂ©grĂ©e Ă  un dispositif plus vaste, qui n'est pas destinĂ© Ă  dĂ©truire, notamment un instrument de musique les marteaux de feutre du piano frappent les cordes pour les faire rĂ©sonner. Dans le mĂȘme sens, un autre personnage se sert d'un marteau le mĂ©decin, qui lui aussi utilise son diapason pour faire Ă©mettre un son au corps qui a Ă©tĂ© frappĂ©. La rĂ©fĂ©rence au mĂ©decin est particuliĂšrement intĂ©ressante, en cela que Nietzsche pense justement le philosophe comme 'mĂ©decin de la civilisation', et que d'autre part, le son rendu par le diapason du mĂ©decin est un son signifiant c'est un symptĂŽme indiquant l'Ă©tat de santĂ© ou de maladie du corps qui a Ă©tĂ© frappĂ© son gras, caverneux, sec, etc... , et fonde le diagnostic. En d'autres termes, le marteau est un instrument d'Ă©valuation, un instrument axiologique en frappant les idoles de son marteau, le philosophe se donne les moyens de constater leur 'Ă©tat de santĂ©', c'est-Ă -dire leur valeur entreprise qui prĂ©cĂšde nĂ©cessairement celle Ă  laquelle on serait tentĂ© de penser en premier lieu, c'est-Ă -dire la destruction. Or, les idoles s'avĂ©reront malades, et rendront des sons inquiĂ©tants. Ce n'est pas tout la mĂ©taphore du marteau renvoie encore Ă  l'image du sculpteur, celui qui utilise ciseau et burin pour imposer une forme nouvelle Ă  une matiĂšre c'est donc une image de la crĂ©ation, et nous voilĂ  aux antipodes du sens qui avait Ă©tĂ© dĂ©gagĂ© en premier lieu l'intĂ©rĂȘt de la mĂ©taphore tient justement Ă  ce qu'elle permet de dĂ©passer d'apparentes oppositions ou contradictions que le langage ordinaire ne peut dire, et dont il ne peut surtout montrer la profonde solidaritĂ©. Ici, la solidaritĂ© de la destruction et de la crĂ©ation, explicitement thĂ©matisĂ©e dans La gĂ©nĂ©alogie de la morale, II, § 24. Le philosophe au marteau sera ainsi celui qui doit donner forme Ă  des valeurs nouvelles - c'est en cela que Nietzsche parle d'un 'divin marteau' dans le § 62 de Par-delĂ  bien et mal. On le voit, parvenir Ă  lire correctement la mĂ©taphorique nietzschĂ©enne du marteau, Ă  en penser synthĂ©tiquement les connotations, c'est presque dĂ©jĂ  se donner les moyens de saisir toutes les orientations du questionnement nietzschĂ©en lui-mĂȘme.

c est toujours le mĂȘme marteau qui frappe