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YannPailleret, le mime marteau de France Inter. Madeleine de Proust des auditeurs de France Inter, le mĂ©tallophone est lâidentitĂ© sonore du "Jeu des mille euros" sur la
Les38 citations et proverbes frapper : Comme le bĆuf, l'homme ne voit la massue suspendue sur sa tĂȘte que lorsqu'il en est frappĂ©. Citation de Hypolite de Livry ; Les pensĂ©es et rĂ©flexions (1808) Il ne faut pas ĂȘtre avare, mais il ne faut pas que la mort nous frappe avant la perte de notre bien. Citation de Auguste-Louis Petiet ; Les
cest toujours le consommateur qui paye la facture, et ce n'est celui qui maniera le marteau aura le pouvoir [] de transformer les montagnes en vallĂ©es et la force [] de dĂ©truire tout sur son passage, mĂȘme les dieux. fr.gamesplanet.com. fr.gamesplanet.com. Legend holds that ] he who wields the hammer has the power to [] smash mountains into valleys and the strength to
Lorsquelâon aurait mĂȘme pu penser que Lidl nâest pas toujours bien placĂ© en termes de prix, câest mal les connaĂźtre et les enseignes bricolage ont beaucoup de difficultĂ©s Ă tenir la charge face Ă un tel concurrent comme Lidl qui peut ĂȘtre assez dur et agressif dans ses diffĂ©rents prix Un marteau perforateur Parkside testĂ© et approuvĂ© par les utilisateurs. Si de plus en plus
Letexte est en lui-mĂȘme achevĂ©, pas une lettre ne peut manquer, pas une lettre supplĂ©mentaire ne peut s'introduire et, malgrĂ© cet achĂšvement, il est ouvert Ă l'infinitĂ© des interprĂ©tations, le verbe est "comme le marteau qui frappe le rocher en faisant jaillir d'innombrables Ă©tincelles."
Dautant que le gĂ©notype de ce virus _ sa carte de visite _ Ă©tait le mĂȘme que celui retrouvĂ© chez nombre de patientes du docteur Marteau , frappĂ©es elles aussi par cette maladie.
LMvLo. En Angleterre, une femme enceinte a Ă©tĂ© filmĂ©e en train de se frapper le ventre avec un marteau. ContactĂ©e par le pĂšre de lâenfant, la police nâa pas rĂ©agi. Ames sensibles, cette vidĂ©o pourrait vous affecter. Pour prouver Ă son compagnon, Sean Hanlon, que son bĂ©bĂ© Ă©tait dur », Heather Thorpe, une jeune femme enceinte de 8 mois, sâest frappĂ©e le ventre avec un marteau. Cette scĂšne dĂ©rangeante a Ă©tĂ© filmĂ©e par le futur coups de marteau sur le ventreDâaprĂšs celui-ci, il Ă©tait en train de la filmer avec son Iphone quand Heather a dĂ©clarĂ© Mon bĂ©bĂ© est plus fort que tout, regarde ça ». Et la jeune femme, enceinte de 8 mois, de se saisir dâun marteau, de soulever son T-shirt et de donner deux coups de marteau sur son ventre, ne se souciant guĂšre des consĂ©quences de cette action sur son fils. JâĂ©tais sous le choc, mais Heather semblait indiffĂ©rente. Je lui ai demandĂ© ce quâelle faisait mais elle mâa dit dâarrĂȘter de dramatiser. Quand Jonathon est nĂ©, il allait bien », a expliquĂ© Sean Hanlon. Une plainte sans suitePeu aprĂšs, le couple sâest sĂ©parĂ© et la jeune femme a portĂ© plainte contre son ex-compagnon pour violences conjugales. ContactĂ© par la police, Sean Hanlon leur a montrĂ© la vidĂ©o. Mais aprĂšs avoir menĂ© lâenquĂȘte, la police nâa pas donnĂ© suite. Elle a simplement signalĂ© lâincident au services sociaux. VOIR AUSSIEtats-Unis une femme enceinte reçoit une dĂ©charge de taserTop 9 des trucs Ă ne pas dire Ă une femme enceinte !Le tabagisme des femmes enceintes inquiĂšte Marisol Touraine
1 La notion de solidaritĂ© familiale » est dâusage courant et remplit volontiers les discours tenus sur les relations quâentretiennent entre eux des individus que des rĂšgles explicites ou implicites, juridiques ou idĂ©ologiques [2], ont colligĂ© dans une forme sociale aux contours Ă©vanescents et quâon appelle la famille ». Elle est aussi dâusage rĂ©current dans le discours des instances publiques et sert Ă lâoccasion Ă tracer des lignes de dĂ©veloppement de politiques publiques. Elle est encore dâusage frĂ©quent dans les sciences sociales, mĂȘme si les plus attentifs de ses reprĂ©sentants ont su souligner les limites analytiques, pour ne pas dire lâinconsistance thĂ©orique, quâelle recelait. Câest ce dernier usage qui retiendra ici notre attention. Notamment parce quâil nous semble sây jouer un de ces moments de confusion au cours desquels une notion de sens commun tend Ă prendre valeur scientifique et, rĂ©ciproquement, sa prĂ©sence dans lâarsenal conceptuel dâune discipline scientifique Ă fournir du crĂ©dit Ă son usage politique. Câest pourquoi nous serons conduits Ă ne voir dans la notion de solidaritĂ© familiale » quâun syntagme affectif » simplement contre-factuel quant aux principes dâordonnancement de la sociĂ©tĂ© française contemporaine. 2 Nombre de sociologues continuent en effet dâemployer lâexpression solidaritĂ© familiale » dans leurs travaux. Le plus souvent, ils en font un usage descriptif pour dire ce qui se passe entre des individus apparentĂ©s au sein de circonscriptions parfois dĂ©licates Ă Ă©tablir mais correspondant peu ou prou Ă lâidĂ©e de famille au sens moderne quâont su Ă©tablir les historiens. Et lâon peut toujours le faire de cette maniĂšre puisque cela nâengage rien dâautre que la dĂ©signation dâun exercice social factuel gĂ©nĂ©rique dont on prĂ©cisera le contenu sĂ©mantique par lâemploi dâautres termes Ă lâacception plus rigoureuse tels Ă©change, don, dette, obligation, partage, etc. Câest donc lâusage proprement conceptuel de la notion qui se rĂ©vĂšle problĂ©matique pour le sociologue. Traite-t-il en effet dâun fait social » pour parler comme Durkheim, câest-Ă -dire dâun phĂ©nomĂšne qui, par-delĂ son pouvoir de contrainte sur les individus, sâimpose Ă lâanalyste en vertu de sa puissance de structuration ou dâordonnancement de la sociĂ©tĂ© ? Ce qui revient Ă attribuer un sens objectif » Ă la solidaritĂ© familiale, pour parler cette fois comme Weber. Ou bien, se contente-t-il dâuser dâune catĂ©gorie commune et commode pour dĂ©crire ce quâil observe, tout en lâĂ©rigeant, ce faisant, au statut de concept analytique spĂ©cifique ? Câest bien ce dernier usage du vocable qui paraĂźt fautif, sociologiquement parlant. 3 Dâailleurs, câest parmi les sociologues qui ont Ă©tudiĂ© les rĂ©seaux de parentĂ© et les Ă©changes qui sây dĂ©roulent, quâon rencontre le plus de rĂ©ticence Ă confĂ©rer Ă la notion de solidaritĂ© familiale » le statut de concept pertinent pour rendre compte des formes majeures sous lesquelles se structurent nos sociĂ©tĂ©s. Et ceux-ci ont su Ă lâoccasion mettre des guillemets autour du syntagme solidaritĂ© familiale ». Ne serait-ce quâen raison des effets de maintien, voire de renforcement, des disparitĂ©s sociales observĂ©s Ă travers les Ă©changes qui ont rĂ©ellement cours. Câest le cas, notamment, de Jean-Hugues DĂ©chaux qui, dans une perspective de stratification sociale, Ă©tablira quâ il nâexiste pas, sâagissant de lâentraide familiale, de cadre normatif unique Ă lâĂ©chelle de la sociĂ©tĂ© » [3]. Il rĂ©affirmait ainsi son opposition aux orientations analytiques qui souhaitaient voir dans la solidaritĂ© familiale » lâutile complĂ©ment ou lâheureux substitut des solidaritĂ©s institutionnelles. Car, Ă©crivait-il, la reprĂ©sentation irĂ©nique de la solidaritĂ© familiale, toute de chaleur et de force, se double dâune vue globalisante oĂč le qualificatif âfamilialâ fonctionne comme un Ă©cran » [4]. 4 Lâavertissement Ă©tait donc ferme. MalgrĂ© cela bien des analystes du social maintiendront lâidĂ©e quâune solidaritĂ© familiale » traverse toujours les rapports que nous entretenons avec nos proches et cela pour le plus grand profit de la cohĂ©sion dâensemble de la sociĂ©tĂ©. La perdurance de cette idĂ©e, ce qui fera donc Ă©cran », tient Ă ce quâelle paraĂźt sâarticuler sur une vision anthropologique fondamentale selon laquelle, avant de former des sociĂ©tĂ©s complexes et diversifiĂ©es, les Hommes auraient construit leurs rapports collectifs au sein dâunitĂ©s Ă caractĂšre familial. Les solidaritĂ©s familiales » dâaujourdâhui, surtout lorsquâon met lâaccent sur leur trait spontanĂ©, nâen seraient quâune trace archaĂŻque. En quelque sorte, un invariant anthropologique remodelĂ© Ă lâaune de notre modernitĂ©. DâoĂč lâattachement affectif » au syntagme. 5 Nous proposons cette interprĂ©tation parce quâau-delĂ des mĂ©prises analytiques auxquelles peut conduire la notion de solidaritĂ© familiale », se fait jour un enjeu proprement sociologique portant sur la nature de notre sociĂ©tĂ© â entendons, ses caractĂ©ristiques majeures de structuration â et donc sur sa capacitĂ© Ă intĂ©grer une telle solidaritĂ© familiale » Ă titre de modalitĂ© de rĂ©gulation collective. En dâautres termes, il convient dâinterroger sur le plan sociologique la valeur thĂ©orique quâil y aurait Ă poursuivre des analyses en termes exclusifs de solidaritĂ© familiale ». 6 Sur le plan Ă©pistĂ©mologique, la thĂšse, ici dĂ©fendue, est de soutenir que la solidaritĂ© familiale » ne peut recevoir, dans notre sociĂ©tĂ©, quâun sens subjectif », selon lâacception que donnait Weber au vocable. Elle ne saurait prĂ©tendre au sens objectif » que doit poursuivre le sociologue [5]. Partant, on ne saurait la tenir pour un concept analytique opĂ©ratoire en vue dâanalyser et de comprendre lâordonnancement de notre sociĂ©tĂ©, mĂȘme si elle guide lâagir de bien des acteurs sociaux et ainsi recevoir une description objective de la part du chercheur. Câest ce que cet article se propose dâĂ©tablir. Pour ce faire, il reprendra Ă nouveaux frais des arguments dĂ©jĂ exposĂ©s Ă titre exploratoire dans des travaux antĂ©rieurs et tentera de fournir une synthĂšse prospective de ce que la solidaritĂ© familiale » peut occuper comme place et tenir comme rĂŽle dans le fonctionnement de notre sociĂ©tĂ©. Les apories de la solidaritĂ© familiale 7 Dans un article publiĂ© en compagnie de Michel ChauviĂšre dans Sociologie du travail, en 2003, nous avions cherchĂ© Ă souligner combien la notion de solidaritĂ© familiale Ă©tait sujette Ă produire des confusions de sens lorsquâil Ă©tait question de penser selon un continuum sĂ©mantique lâexercice de la solidaritĂ© Ă lâĂ©chelle sociale publique et Ă lâĂ©chelon familial privĂ©. Câest quâentre ces deux niveaux dâapprĂ©hension, ces deux instances putatives dâexercice de la solidaritĂ©, se jouent diffĂ©rentes configurations de justice. La solidaritĂ© sous lâĂ©gide de lâĂtat et la solidaritĂ© pratiquĂ©e Ă lâintĂ©rieur de la famille ne semblent guĂšre rĂ©gies selon les mĂȘmes rĂšgles », Ă©crivions-nous [6]. En un sens, leurs Ă©thiques les opposent substantiellement. Pour lâune â la solidaritĂ© publique â, câest une Ă©thique de justice Ă©galitaire qui lui prĂ©side. Pour lâautre â la solidaritĂ© circonscrite Ă la famille â, câest une Ă©thique discrĂ©tionnaire qui sâimpose. Modulo, bien entendu, la correction apportĂ©e par les rĂšgles de droit en la matiĂšre et consignĂ©es, pour lâessentiel, dans le Code civil français. Lesquelles rĂšgles de droit ne relĂšvent nullement de la coutume familiale, mais bien des principes constitutifs de la collectivitĂ© sociale nationale, voire, de plus en plus fortement, internationale. Ce qui montre dĂ©jĂ combien la solidaritĂ© familiale » se trouve contrainte » par la rĂšgle publique. 8 Ainsi, et pour ne prendre quâun exemple les difficultĂ©s de diverses natures rencontrĂ©es par lâun des membres dâune famille ne reçoivent-elles de rĂ©ponses que largement distribuĂ©es sur ce que nous pouvons dĂ©signer comme lâaxe de leur pertinence et de leur efficacitĂ©. En effet, ce qui est prĂ©sentĂ© trĂšs souvent comme la solidaritĂ© spontanĂ©e », naturelle », si ce nâest substantielle » de la famille admet un large spectre de rĂ©alisation de lâabstention â quand ce nâest la rĂ©cusation de la part du destinataire â Ă lâĂ©tablissement dâune rente de situation â que ce soit celle inhĂ©rente Ă la fortune du groupe familial ou celle obtenue de facto par des formes de chantage sentimental » ou autres modalitĂ©s de tanguysation » [7]. Modulo toujours les rĂšgles de droit prĂ©citĂ©es, la solidaritĂ© procurĂ©e par la famille Ă lâendroit du membre en difficultĂ© sâavĂšre ĂȘtre des plus variables, si ce nâest parfois des plus versatiles [8]. Câest que, Ă lâintĂ©rieur du pĂ©rimĂštre laissĂ© Ă lâinitiative de la famille par la rĂšgle de droit, sâexpriment toutes les caractĂ©ristiques singuliĂšres privĂ©es de ladite famille. Cela va, bien Ă©videmment, de ses capacitĂ©s Ă©conomiques, matĂ©rielles et pĂ©cuniaires, jusquâĂ ses options idĂ©ologiques lato sensu, câest-Ă -dire autant lâair ambiant que lâon respire que la tradition que lâon suit aveuglĂ©ment dans le domaine culturel, celui des croyances religieuses ou celui de lâĂ©lection dâun mode de vie, sans oublier la dimension psychologique longtemps qualifiĂ©e de nĂ©vrotique de la configuration familiale [9]. 9 DĂšs lors, lâaide, le secours, le soutien, lâappui et tous les termes qui servent Ă Ă©noncer la modalitĂ© par laquelle se rĂ©aliserait lâidĂ©e gĂ©nĂ©rique de solidaritĂ© familiale, vont, dâune maniĂšre ou dâune autre, avoir tendance Ă souligner la relativitĂ© de la prĂ©sumĂ©e solidaritĂ© familiale. Aucun de ces vocables ne sâaccompagne, en effet, de lâidĂ©e dâobligation absolue, a fortiori de nĂ©cessitĂ© intrinsĂšque. Celles-ci nâadviennent quâĂ la faveur dâune adjonction sĂ©mantique extĂ©rieure Ă lâunivers familial, particuliĂšrement, rĂ©pĂ©tons-le, sous la contrainte de la loi. Certes, des rĂšgles â le plus souvent des rĂ©gularitĂ©s dâobservation relativement stables dans le temps â peuvent apparaĂźtre aux yeux du chercheur, elles peuvent mĂȘme ĂȘtre formulĂ©es Ă titre de motivations ou de justifications des comportements dâentraide, de soutien, dâappui, etc., par les protagonistes, mais elles ne forment pas encore une norme sociale de lâagir en sociĂ©tĂ©. Celles-ci relĂšvent de la discrĂ©tionnaritĂ© des individus concernĂ©s et, partant, ressortissent aux mobiles de lâaction quâils engagent. Or, ces mobiles ne rĂ©flĂ©chissent pas nĂ©cessairement â ne sont donc pas rĂ©ductibles â Ă des normes de niveau sociĂ©tal. Bien sĂ»r, le sociologue, sur la base des observations quâil aura construites, tentera de dĂ©gager la possible structure nomologique qui organise ces mobiles, mais il ne pourra, sâil veut rester wĂ©bĂ©rien, en infĂ©rer quâil a vĂ©ritablement affaire Ă une norme sociale » [10]. 10 En dâautres termes, la solidaritĂ© familiale, entendue comme nĂ©cessitĂ© sociale exprimĂ©e sous forme dâun impĂ©ratif Ă©manant du groupe familial, nâopĂšre jamais que sous la pression dâune norme hĂ©tĂ©ronome. Sans cette derniĂšre, elle ne prĂ©sente quâun Ă©ventail largement dĂ©ployĂ© de pratiques possibles, quâune Ă©chelle indĂ©finie de degrĂ©s dâeffectuation, et donc, sur le plan de la logique modale alĂ©thique, tĂ©moigne de sa contingence plutĂŽt que de sa nĂ©cessitĂ©. En consĂ©quence, le sociologue ne saurait la tenir pour une forme sociale », Ă la maniĂšre de Simmel, un fait social », Ă celle de Durkheim, ou mĂȘme un type de gesinnung wĂ©bĂ©rien, voire dâhabitus bourdieusien. 11 Car, par-delĂ les enjeux sĂ©mantiques que recĂšlent ces notions, se rencontre la volontĂ© sociologique dâexpliquer et de comprendre le comportement social des individus par un type de causalitĂ© en appelant Ă lâintĂ©riorisation, par lâindividu social, de la logique modale de la nĂ©cessitĂ©. Ce qui ne semble donc pas ĂȘtre le cas de la solidaritĂ© familiale » qui, en substance, nâest pas dissociable de la formalitĂ© de la loi. En toute logique explicative, on ne peut la reconnaĂźtre comme une cause du comportement solidaire » des apparentĂ©s, mais bien plutĂŽt penser ce dernier comme un possible effet de leurs intĂ©riorisations normatives, dont celle de la loi. 12 LĂ oĂč le juriste est fondĂ© Ă reconnaĂźtre que le dispositif lĂ©gal quâil analyse produit de la solidaritĂ© entre les membres de la famille â puisque nous sommes dans lâordre des dispositions factuelles entraĂźnĂ©es par la loi â, le sociologue, pour sa part, aura Ă Ă©tablir, dans le cadre dâun raisonnement stochastique le plus souvent, la factualitĂ© mĂȘme du comportement familial solidaire et, subsĂ©quemment, de lâimputer causalement â autant que faire se peut â Ă la variĂ©tĂ© et Ă la variation des mobiles possibles, dont nous avons dit quâils courraient de la soumission Ă la loi aux Ă©motions psychiques plus ou moins contrĂŽlĂ©es. Câest dâailleurs ce quâentreprennent bien des travaux de sociologie de la famille qui, raisonnant en termes de dette », de devoir », dâ Ă©change symbolique » affectivo-matĂ©riel, de contrat » et autre, vont rĂ©ifier la solidaritĂ© familiale depuis les mobiles motivations ou autres dispositions des individus qui la composent. Preuve, donc, que la solidaritĂ© familiale » ne se saisit pas immĂ©diatement ni in concreto, ni in abstracto, mais mĂ©diatement par des modalitĂ©s dâeffectuation qui seront interprĂ©tĂ©es comme son signe manifeste. En termes de statut Ă©pistĂ©mologique, la notion de solidaritĂ© familiale â il en va de mĂȘme pour celle de solidaritĂ© sociale collective â relĂšve des reprĂ©sentations imaginaires du social. Elle ne saurait donc, on vient de le voir, ĂȘtre constatĂ©e par le sociologue mais seulement interprĂ©tĂ©e depuis les signes comportement, attitude, discours ou autre qui la symboliseront. Partant, toute la question, pour ce dernier, sera dâĂȘtre en capacitĂ© de pondĂ©rer le sens de ces diffĂ©rents signes au regard de lâĂ©ventail de leur dispersion signalĂ©e plus haut. Câest ce que nombre de travaux cherchent Ă faire lorsquâils entendent, par exemple, mesurer les inĂ©gales participations des membres dâune fratrie Ă lâentretien dâun parent dĂ©pendant. Chaque participation se voyant interrogĂ©e quant Ă son contenu » de solidaritĂ©, ou, pour le formuler dans un autre registre, quant Ă sa sĂ©mantique solidariste. Et, entre lâobligation dâaliments et la politique des emplois familiaux, Ă©manations dâun social instituĂ© organique sâil en est, bien des suspicions dâatteinte Ă la puretĂ© du sentiment naturel » de solidaritĂ© familiale pourront se faire jour. 13 Aussi est-ce dans ce cadre rĂ©flexif quâil paraĂźt indiquĂ© dâanalyser sociologiquement la solidaritĂ© familiale. Ce qui revient Ă tenter de saisir les signes â les comportements, les attitudes, les discours, etc., significatifs â qui lâinscrivent explicitement et strictement dans lâunivers du familial, rĂ©servant ceux qui y dĂ©rogent Ă relever de la solidaritĂ© sociale organisĂ©e. Se jouent ici, en effet, diffĂ©rentes conceptions sociologiques de la solidaritĂ©. Câest la raison pour laquelle, par parenthĂšse, nous avions, avec Michel ChauviĂšre, apprĂ©hendĂ© les solidaritĂ©s familiale » et sociale collective » sous lâangle des configurations de justice dont elles tĂ©moignent. Ăgalitaire, pour lâune, discrĂ©tionnaire, pour lâautre. 14 En attendant, tentons de clarifier pourquoi la solidaritĂ© familiale » est venue Ă tant prĂ©occuper le sociologue ? Pourquoi ce qui longtemps se voyait verser du cĂŽtĂ© dâune idĂ©ologie », largement Ă©tudiĂ©e et souvent dĂ©noncĂ©e par les sociologues, Ă savoir le familialisme, peut-il, aujourdâhui, retrouver des couleurs vertueuses sous lâappellation de solidaritĂ© familiale » ? LâhypothĂšse, ici formĂ©e, est que lâanalyse sociologique â abstraction faite des exceptions signalĂ©es en dĂ©but dâarticle â sâen est que trop facilement remise aux incantations des discours publics et, in fine, aux orientations des pouvoirs publics. La solidaritĂ© familiale comme catĂ©gorie dâaction politique 15 Au dĂ©but des annĂ©es 1990, lâouvrage patronnĂ© par Marie-ThĂ©rĂšse Join-Lambert, Politiques sociales [11], va devenir le vade mecum des observateurs et des analystes des politiques publiques de protection sociale. Inspectrice gĂ©nĂ©rale des affaires sociales, elle avait surtout ĆuvrĂ© dans les cabinets des ministĂšres sociaux » et les directions des agences sociales », quand elle compile dans un ouvrage de quelque 570 pages les enseignements quâelle dispense Ă lâInstitut dâĂ©tudes politiques de Paris sur les politiques sociales françaises. Fort bien documentĂ©, lâouvrage fait une prĂ©sentation historique des mesures de politique sociale, ordonnĂ©e par domaine dâintervention et articulĂ©e aux orientations gouvernementales qui prĂ©valaient Ă lâĂ©poque. Lâaccent est mis, aprĂšs les annĂ©es de rupture de la dĂ©cennie 1970-1980, sur les politiques de lâemploi et de la protection contre le chĂŽmage, mais les quelques pages consacrĂ©es Ă la politique familiale de lâĂtat et Ă la protection de la vieillesse tĂ©moignent dâune inflexion sensible en la matiĂšre. Celles-ci sont prĂ©sentĂ©es sous le projecteur de la solidaritĂ©. 16 La solidaritĂ© » est en effet devenue le thĂšme majeur des politiques sociales depuis les annĂ©es 1980. Il inspirera la mise en place du revenu minimum dâinsertion RMI en 1988, dont notre auteur aura participĂ© aux travaux prĂ©paratoires. Elle se trouve dĂ©clinĂ©e dans toutes les mesures qui sont adoptĂ©es au cours de cette pĂ©riode dans les divers domaines de la protection sociale. Lâallocation personnalisĂ©e dâautonomie APA entrĂ©e en vigueur en 2002, Les multiples rĂ©formes de lâassurance chĂŽmage et de lâindemnisation des personnes sans emploi, celle du RMI et de lâallocation de parent isolĂ©e API fondue dans le revenu minimum dâactivitĂ© RSA, etc., aucune de ces mesures nâĂ©chappe Ă sa comprĂ©hension en termes de solidaritĂ©. Câest que la solidaritĂ© » est dĂ©sormais la maniĂšre de philosophie officielle de lâĂtat dans le domaine des politiques sociales. Les Ă©lites du welfare », comme les dĂ©signent William Genieys et Patrick Hassenteufel [12], et dont notre auteur est incontestablement une Ă©minente reprĂ©sentante, dans leur souci de rendre le systĂšme français de protection sociale plus efficient et moins coĂ»teux â il est jugĂ© trop fortement segmentĂ© et dispersĂ©, fragmentĂ© Ă lâexcĂšs et souvent insuffisamment efficace, parce que les mesures ont Ă©tĂ© empilĂ©es sous lâeffet dâun paritarisme peu dynamique et dâun syndicalisme largement conservateur â ont donc su imposer leurs idĂ©es, au-delĂ de leur administration de rattachement, dans des programmes dâaction rĂ©formatrice qui recevront lâaval des reprĂ©sentants de la dĂ©mocratie pluraliste les politiques ». Or, pour accompagner ces nouveaux modes dâaction et les options rĂ©formatrices quâils portaient, un nouveau langage devait sâimposer ainsi quâun nouveau rĂ©fĂ©rentiel doctrinaire ce sera celui de la solidaritĂ© ». 17 Par-delĂ les enjeux, analysĂ©s en dĂ©tail par William Genieys, portant sur les rapports de force entre Ă©lite de gouvernement et politiques » issus de la reprĂ©sentation nationale [13], il nous revient de souligner ce qui, dans le champ de la politique de la famille, va connaĂźtre un net dĂ©placement doctrinaire. Jusquâalors, celle-ci avait Ă©tĂ© conçue comme une politique publique Ă©minemment spĂ©cifique. Longtemps mĂȘme, elle ne savait ĂȘtre assimilĂ©e Ă une politique sociale. Son objet Ă©tait la famille et câĂ©tait strictement celle-ci quâelle devait servir. Ce face-Ă -face complice entre Ătat et famille, aprĂšs que la doctrine de lâĂtat, sous la iiie RĂ©publique, eut changĂ© Ă lâendroit de cette derniĂšre, dĂ©limitera ce que les sociologues qui sây intĂ©resseront nommeront le champ du familial » et, donc, la politique publique qui sây applique la politique familiale ». De fait, historiquement parlant, il avait fallu que toute une variĂ©tĂ© dâinstitutions associations, mouvements Ă©manant des Ăglises ou des partis politiques, commissions et comitĂ©s divers, publics et parapublics, sans oublier lâinstitutionnalisation de la reprĂ©sentation des familles au sein de lâUnaf et celle de son observation scientifique par lâIned investissent ce champ » afin de le structurer de concert avec lâĂtat. Cette structuration va perdurer, dans une grande autonomie et avec une relativement forte cohĂ©sion, jusquâĂ la pĂ©riode de mutation que nous envisageons, et que nous situons donc dans les annĂ©es 1980-1990. 18 De leur cĂŽtĂ©, les historiens et les sociologues du champ familial », quelques politistes et juristes Ă©galement, mettront au jour les enjeux majeurs, sur les plans politiques et sociaux, qui le caractĂ©risent. Si le familialisme, comme idĂ©ologie politique dâĂtat, a pu susciter quelques interrogations, ce sont les questions de compĂ©tence relatives Ă la maniĂšre de constituer, de conduire, dâorganiser et donc, selon la formule tant prisĂ©e aujourdâhui, de faire famille », qui seront lâobjet dâĂąpres discussions en son sein. LâĂtat, quant Ă lui, gagnĂ© aux arguments des dĂ©mographes, conviendra que la nation avait Ă soutenir la famille dans son projet nataliste. Par la suite, il se ralliera, la sociĂ©tĂ© consumĂ©riste sâinstallant, aux objectifs dâĂ©galitĂ© des chances des individus quelle quâen soit la famille, et, en consĂ©quence, modulera ses mesures en fonction de cet objectif. Cela concernera aussi bien la garde des tout petits que la subvention des loisirs collectifs, le financement du logement que le retrait temporaire du marchĂ© de lâemploi, le soutien Ă lâactivitĂ© professionnelle de la mĂšre que sa sortie progressive et, de plus en plus, la contribution au financement dâemplois ou de quasi emplois familiaux. Pendant tout ce temps, la famille, ou pour le moins ceux qui la reprĂ©sentaient dans les diverses institutions Ă vocation familiale », acceptait sa sĂ©cularisation, câest-Ă -dire renonçait dĂ©finitivement Ă tenir une fonction politique dans lâordonnancement mĂȘme de la sociĂ©tĂ©, comme il avait Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement rĂ©clamĂ© depuis la RĂ©volution de 1789. 19 PacifiĂ© sur le plan politique, nâĂ©taient quelques rĂ©miniscences Ă©pisodiques dâun suffrage familial » [14] ou la promotion Ă©phĂ©mĂšre de la famille » au titre de valeur constitutive de lâĂtat français, le champ familial » a pu, sociologiquement parlant, opĂ©rer comme un champ autonome et soucieux de son autonomie. Longtemps, il refusera son rapprochement dâavec celui des politiques sociales, mĂȘme si, constamment, il Ă©tait confrontĂ© Ă la question des familles pauvres ». Mais sa doctrine, condensĂ©e dans lâidĂ©e de lâallocation familiale, semblait intangible lâallocation familiale engage, au bĂ©nĂ©fice de lâenfant, un rapport direct entre la nation â la RĂ©publique â et la famille. Cela, quelles que soient par ailleurs les caractĂ©ristiques de ladite famille, seraient-elles incompatibles avec les droits de lâenfant » alors en pleine expansion. Lâenfant est autant celui de sa famille que celui de la RĂ©publique. On comprend pourquoi bien des tentatives gouvernementales de placer les allocations familiales sous une condition de ressources, ont rĂ©guliĂšrement Ă©chouĂ©. Celle du gouvernement Jospin 1998, pourtant prĂ©sentĂ©e dans un contexte de crise des solidaritĂ©s », semblait Ă©tablir une fois pour toute que le conflit de doctrine créé au sein mĂȘme de lâĂtat Ă©tait insurmontable. La mesure de conditionnement des allocations familiales aux ressources du foyer nâavait pu opĂ©rer que pendant dix mois les dĂ©bats et les polĂ©miques sur lâefficience de ce ciblage, les protestations publiques et lâimpuissance Ă©tatique Ă produire une nouvelle doctrine, conduiront le gouvernement Ă rapporter la mesure, le 1er janvier 1999 [15]. Pourtant, le conflit doctrinaire paraĂźt bien en passe dâĂȘtre surmontĂ©. Non parce quâune nouvelle doctrine Ă©tatique en matiĂšre de politique familiale aurait Ă©tĂ© dĂ©finie, mais parce quâun ralliement Ă une nouvelle maniĂšre de poser les questions a pu ĂȘtre amorcĂ© de tous les bords. Câest cette derniĂšre que lâon doit aux Ă©lites du welfare ». Elle consistera Ă mettre au premier plan non la famille en soi », possiblement objet des pires troubles nĂ©vrotiques ainsi que lâavait soulignĂ© lâanti-psychiatrie des annĂ©es 1970, mais lâune de ses qualitĂ©s prĂ©tendument intrinsĂšques sa puissance de solidaritĂ©. Du cĂŽtĂ© de la reprĂ©sentation des intĂ©rĂȘts familiaux », de lâUnaf et autres institutions de dĂ©fense des familles, on a pu assister Ă un dĂ©gagement progressif dâun familialisme Ă rayon court, celui de la famille patriarcale, formĂ©e par le mariage et offrant Ă la nation la plus large progĂ©niture. La reconnaissance de la pluralitĂ© des maniĂšres de faire famille », lâarrimage de cette derniĂšre avec les vertus et les vices de la relation intersubjective et de lâĂ©panouissement personnel â autant de thĂ©matiques mises Ă lâhonneur par les travaux de sociologie de la famille [16] â, et puis peut-ĂȘtre surtout ?, la pĂ©riode de flottement idĂ©ologique dans laquelle se trouvera plongĂ©e la sociĂ©tĂ© française des annĂ©es 1990-2000 â la fameuse incertitude sociale » qui exile sans appel lâidĂ©e de progrĂšs social » [17] â, tout cela aura contribuĂ© Ă rechercher pour la famille de nouvelles bases idĂ©ologiques afin dâasseoir autrement sa lĂ©gitimitĂ© politico-sociale. Câest donc dit, et tous les acteurs du champ familial » vont pouvoir sâaccorder, la famille a, en propre, une puissance, si ce nâest une propension spontanĂ©e, Ă la solidaritĂ©. Pour les pouvoirs publics, câest le moyen de faire entrer le champ familial » dans la problĂ©matique de lâurgente rĂ©forme des dispositifs de protection sociale construits sous lâĂ©gide de la solidaritĂ© sociale que la famille, pour sa part, parce que naturellement » solidaire, participe Ă la vaste entreprise de reconfiguration des solidaritĂ©s sociales ! Dâautant que, on le sait bien maintenant, le refuge dans une fiscalisation accrue est quasiment interdit. Le verrou » de Bercy est en place. DĂšs lors, on articulera de plus en plus les dispositions de politique sociale aux contributions des familles. Cela sera particuliĂšrement patent avec lâĂ©mergence de ce quâon prĂ©sentera comme un nouveau risque » de protection sociale la prise en charge de la dĂ©pendance des personnes ĂągĂ©es. Autrement dit, le thĂšme de la solidaritĂ© familiale mobilisĂ© par les Ă©lites du welfare nâest pas simplement idĂ©ologique et discursif, il sâincarne dans de nouvelles dispositions de prestations dont lâeffet premier est de rendre le champ » du familial beaucoup plus poreux Ă celui du social », câest-Ă -dire de la protection universelle reconnue Ă chaque citoyen dans le cadre dâune dĂ©mocratie providentielle, comme lâa nommĂ©e Dominique Schnapper. Câest ce dont il appert de lâouvrage prĂ©citĂ© coordonnĂ© par Marie-ThĂ©rĂšse Join-Lambert. 20 Il serait, toutefois, pour le moins paradoxal de laisser accroire quâil y aurait eu un abandon du familialisme au profit dâun solidarisme universaliste individuel, surtout quand nous avons pu soutenir que la politique familiale française nâĂ©tait pas de prime abord dâessence familialiste. Ce sont plutĂŽt les prestations de politique sociale qui ont Ă©tĂ© familialisĂ©es ». Les prestations de politique familiale se sont, quant Ă elles, parentalisĂ©es » [18]. Le familialisme des politiques familiales françaises est probablement dâabord une question thĂ©orique dĂ©battue, et Ă dĂ©battre, avant dâĂȘtre leur cadre dâĂ©laboration substantif [19]. Cela dit, quelle que soit la conclusion Ă laquelle on aboutira, câest le recouvrement problĂ©matique du champ familial » par la thĂ©matique de la solidaritĂ© qui nous importe ici, aurait-il Ă©tĂ© Ă©galement celui de lâabsorption de lâidĂ©ologie familialiste rĂ©siduelle qui y rĂ©gnait. En somme, on est en droit dâaffirmer que lâactivation dâune solidaritĂ© familiale par les pouvoirs publics va inscrire la politique familiale dans une vision fonciĂšrement solidariste plutĂŽt que familialiste. Câest comme catĂ©gorie dâaction publique que la solidaritĂ© familiale » va devoir produire tous ses effets, mĂȘme si, comme catĂ©gorie analytique et concept sociologique, elle restera plus que douteuse. La mĂ©prise analytique consiste justement Ă faire coĂŻncider les deux. Plus prĂ©cisĂ©ment, Ă habiller les pratiques dâentraide, dâĂ©change, de don, etc., que le sociologue ne manque pas dâobserver, dâune aura vertueuse de solidaritĂ© » et, comme nous le verrons plus loin, dâune idĂ©alitĂ© imaginĂ©e constitutive de la sociĂ©tĂ© française contemporaine. 21 Cette mĂ©prise sera frĂ©quemment commise quand le sociologue analysera en termes de solidaritĂ© familiale en acte ce quâil observe sous forme dâĂ©change de bons procĂ©dĂ©s entre membres dâune mĂȘme famille ou, si lâon veut ĂȘtre plus prĂ©cis, de fourniture dâaide matĂ©rielle et affective Ă leur endroit, dâentretien et de soins des siens, de souci de ses proches. En un sens, et une fois de plus, la sociologie â gĂ©nĂ©riquement parlant â se laissait gagner par lâair du temps et, en dĂ©pit de ses efforts pour circonscrire son propos, confortait la vulgate ambiante. Ă titre anecdotique mais symptomatique de ce brouillage Ă©pistĂ©mologique, cette surprenante inversion du titre de lâouvrage dâAgnĂšs Pitrou entre ses deux Ă©ditions. La premiĂšre, en date de 1978, est titrĂ©e Vivre sans famille ? Les solidaritĂ©s familiales dans le monde dâaujourdâhui ». La seconde, datĂ©e de 1992, prendra pour titre Les solidaritĂ©s familiales vivre sans famille ? » [20] On conjecturera que ce changement de titre, sans que le texte ait Ă©tĂ© substantiellement modifiĂ© en dehors de lâintroduction dâun nouveau chapitre â lui aussi au titre symptomatique de ce que nous voulons faire valoir, Ă savoir lâactualitĂ© des solidaritĂ©s familiales » â nâavait dâautre raison dâĂȘtre que de sâinscrire dans la mouvance rhĂ©torique qui assurait le succĂšs de la notion de solidaritĂ© familiale ». Et, bien que lâauteur ne sây fasse nullement le chantre de la solidaritĂ© familiale » â elle souligne, au contraire, son ambivalence politique et idĂ©ologique â, nul doute que le relookage du titre avait Ă voir avec cet air du temps. Un paradigme pour la protection de lâindividu ? 22 Si donc, il y a bien eu, dans les annĂ©es 1990, un tournant dans la maniĂšre dont le champ familial » se situait au regard de celui de la protection sociale lato sensu, son recouvrement notionnel par le vocable de solidaritĂ© familiale » et la rhĂ©torique du continuum des solidaritĂ©s entre champ social et champ familial proposĂ©e par les Ă©lites du welfare, font-ils pour autant de cette solidaritĂ© familiale » un nouveau paradigme de protection pour lâindividu ? Paradigme singulier appelĂ© Ă prendre sa place ou Ă se fondre dans celui de la protection globale dudit individu. La question a, finalement, Ă©tĂ© largement dĂ©battue dans cette pĂ©riode, mĂȘme si les termes dans lesquels elle se posait nâĂ©taient pas ceux que nous utilisons aujourdâhui. Parfois envisagĂ©e sous lâidĂ©e dâun transfert, si ce nâest dâun dĂ©faussement », de lâĂtat sur les familles des charges de la protection de lâindividu ; dâautres fois, et classiquement, comme une nouvelle ingĂ©rence normative de celui-lĂ Ă lâendroit de celles-ci ; mais le plus souvent, eu Ă©gard au contexte de restrictions budgĂ©taires et dâaffrontement des ministĂšres dĂ©pensiers » SantĂ©, Affaires sociales... aux ministĂšres Ă©pargnants » Ăconomie, Budget..., dâune nouvelle rĂ©partition de la dĂ©pense et donc dâune contribution plus affirmĂ©e des familles Ă lâĆuvre de solidaritĂ© collective. Dans tous les cas, se trouvait opĂ©rer en filigrane la sempiternelle et angoissante interrogation relative Ă la frontiĂšre Ă Ă©tablir entre la sphĂšre privĂ©e » du familial et la sphĂšre publique » du collectif â toujours essentiellement â national, et donc la puissance propre de lâune et de lâautre Ă structurer lâordre du social. 23 Deux postures que lâon peut dire politiques » â au sens de lâagencement normatif de la polis â auraient pu rivaliser, sur fond de rĂ©activation dâanciens conflits, dans lâĂ©tablissement du nouveau paradigme dâaction quâavaient su suggĂ©rer les Ă©lites du welfare. Lâune, arcboutĂ©e Ă lâautonomie de la sphĂšre familiale aurait pu accepter de voir son geste solidariste » rĂ©tribuer â au moins symboliquement â Ă titre de service rendu Ă la nation comme dans le cas des allocations familiales. On aurait pu attendre cette posture du cĂŽtĂ© des institutions reprĂ©sentatives du champ familial », notamment de lâUnaf, quitte Ă nĂ©gocier une familialisation accrue des politiques sociales et fiscales. Lâautre, toujours mĂ©fiante vis-Ă -vis des us dĂ©viationnistes de la monade familiale, aurait prĂ©fĂ©rĂ© la placer encore plus explicitement sous la loi dâairain du collectif. Accentuer, par exemple, lâingĂ©rence de lâĂtat en matiĂšre de succession et de rĂ©cupĂ©ration sur celle-ci. Cela aurait inĂ©vitablement rallumĂ© lâancestral conflit de prĂ©rogatives entre la famille et lâĂtat. Mais il nâen fut rien. Aucune guerre, ni mĂȘme menace de guerre, ne se profila. Nous pouvons le conjecturer aujourdâhui, cela aura tenu Ă ce que la catĂ©gorie dâaction politique solidaritĂ© familiale » proposĂ©e par les Ă©lites avait lâavantage de favoriser une sorte dâopĂ©ration de synthĂšse par omission de dĂ©finition. Vide de contenu, la solidaritĂ© familiale » pouvait ĂȘtre remplie de ce que lâon voulait. 24 De fait, elle recevra toutes sortes de comprĂ©hensions plus ou moins naturalisĂ©es pulsion de lâindividu Ă faire bloc avec les siens, pointe aigĂŒe du sens moral et de la dette intergĂ©nĂ©rationnelle, inconscient habitus Ă resserrer les liens selon sa classe dâappartenance, etc., mais toujours elle connotera â insidieusement, probablement â ce substrat sĂ©mantique dâallure anthropologique que nous Ă©voquions au dĂ©but de ce texte la solidaritĂ© familiale » aurait Ă voir avec le fond archaĂŻque de toute sociĂ©tĂ©, la nĂŽtre comprise. De lĂ Ă en faire un paradigme sociologique de protection de lâindividu contemporain, comme le proposaient les Ă©lites, il y a un saut thĂ©orique pour le moins pĂ©rilleux. Plusieurs raisons, dâordre argumentatif diffĂ©rent, nous dissuaderont de le tenter. Envisageons-les. 25 Revenons, en premier lieu, sur la chronique de lâĂ©mergence de la thĂ©matique des solidaritĂ©s familiales ». Dans un remarquable article de synthĂšse historique et analytique, JĂ©rĂŽme Minonzio soutient, comme nous le faisons ici, que la thĂ©matique des solidaritĂ©s familiales » est une Ă©manation de la demande politique Ă laquelle ont su rĂ©pondre les chercheurs en sciences sociales et des groupes dâintĂ©rĂȘt, notamment du cĂŽtĂ© de la gĂ©rontologie [21]. Tout en inscrivant sa rĂ©flexion sous les auspices des thĂšses kuhniennes relatives aux rĂ©volutions scientifiques, il questionne la pertinence de confĂ©rer Ă la notion de solidaritĂ© familiale » la valeur dâun paradigme ». RĂ©pondons de maniĂšre directe si nous avons bien affaire Ă un paradigme dâaction politique avec cette notion, cela ne saurait pour autant fournir un paradigme analytique pour comprendre lâordonnancement de notre sociĂ©tĂ©. Un paradigme qui, en lâoccurrence, attesterait que lâexistence dâun espace spĂ©cifiĂ© dans lequel sâexercerait un type singulier de relations entre les individus, qualifiĂ© de solidaritĂ© familiale », participe de façon essentielle ou indispensable Ă lâordonnancement de la sociĂ©tĂ© française contemporaine. 26 En effet, comme lâĂ©tablit JĂ©rĂŽme Minonzio, et comme nous avons cherchĂ© Ă le faire jusquâici, il ne fait aucun doute que la rĂ©surgence du thĂšme de la famille solidaire obĂ©it Ă impĂ©ratif politique, celui, dĂ©jĂ Ă©noncĂ©, dâune recomposition de lâintervention de lâĂtat quant Ă sa mission de protection des citoyens. Autrement dit, dâun redĂ©ploiement de lâĂtat providence ou, si lâon prĂ©fĂšre, dâun approfondissement de la dĂ©mocratie providentielle, pour rejoindre encore Dominique Schnapper. Sans conteste, le nouvel Ă©quilibre de la pyramide des Ăąges qui se dessinait du fait de lâavancĂ©e en Ăąge dâune fraction de plus en plus grande de la population, les coĂ»ts dâallure exponentielle de sa prise en charge collective, ce dans un contexte de croissance du chĂŽmage et de difficultĂ©s Ă crĂ©er des emplois, multipliant ainsi les situations dites dâ exclusion » â selon la mĂ©taphore qui fait Ă©galement fureur Ă lâĂ©poque â, tout cela ne pouvait quâentraĂźner la dĂ©stabilisation des dispositifs de protection sociale en place. Tout cela ne pouvait quâinciter Ă repenser lâaction protectrice de lâĂtat. Bref, la thĂ©matique des solidaritĂ©s familiales » complĂ©mentaires de lâintervention de lâĂtat et de ses dispositifs sociaux » avait tout lieu de sĂ©duire. 27 Pour leur part, comme le note Ă©galement JĂ©rĂŽme Minonzio, les sciences sociales vont aussi faire un pas de cĂŽtĂ©. DĂ©laissant quelque peu le schĂ©ma fonctionnaliste parsonien, elles redĂ©couvrent les relations intergĂ©nĂ©rationnelles et leurs Ă©changes vite qualifiĂ©s de solidaritĂ© intergĂ©nĂ©rationnelle ». La solidaritĂ© familiale reprenait ce faisant quelque couleur chez les sociologues, comme nous lâavons vu avec le retitrage de lâouvrage dâAgnĂšs Pitrou. Pour autant, ainsi que signalĂ© pour cette derniĂšre, la solidaritĂ© de la famille ne leur semblait pas suffisante pour assurer la bonne intĂ©gration sociale de lâindividu, ni Ă toute Ă©preuve. De mĂȘme, les efforts dĂ©ployĂ©s par quelques-uns pour ne pas enclore les relations familiales dans la seule sphĂšre du bien-ĂȘtre et envisager la nature et les effets des Ă©changes de toute sorte qui sây rĂ©alisent, ne dissiperont pas lâĂ©quivoque qui sâattache Ă la notion de solidaritĂ© familiale ». Ă son corps dĂ©fendant peut-ĂȘtre, la thĂ©matique de la solidaritĂ© familiale » allait recevoir lâaval de la sociologie et susciter de multiples travaux qui, de maniĂšre assez disparate, se rangeront sous sa banniĂšre. De lĂ , la confusion thĂ©orique et Ă©pistĂ©mologique que nous envisageons ici. 28 Celle-ci tient pour une bonne part Ă ce que, comme nous avons eu lâoccasion de lâĂ©tablir Ă quelques reprises, il y a une grande permĂ©abilitĂ© des sciences sociales au discours social lui-mĂȘme, ce qui nâa rien de surprenant, mais devient contreproductif si lâon sâen tient lĂ [22]. En particulier, cela concourt Ă confondre le tableau descriptif des phĂ©nomĂšnes sociaux Ă©tudiĂ©s â lequel emprunte volontiers ses catĂ©gories au langage social du moment â et le schĂ©ma explicatif recevable au sein de la discipline â lequel procĂšde par construction conceptuelle et interprĂ©tation thĂ©orique [23]. En lâoccurrence, dĂ©crire les frĂ©quentations rĂ©guliĂšres des enfants et petits-enfants Ă lâendroit de leurs parents et grands-parents, nâest pas Ă©tablir un lien de solidaritĂ© admettant un sens sociologique, câest contredire la thĂšse parsonienne de la tendance au centrage et Ă lâisolement du couple familial. De mĂȘme, souligner les Ă©changes de services et les dons entre les gĂ©nĂ©rations nâest toujours pas constituer la solidaritĂ© en phĂ©nomĂšne sociologique, câest dĂ©crire un type dâĂ©change qui nâobĂ©it pas Ă la rĂšgle gĂ©nĂ©ralisĂ©e du marchĂ©. Et, il revient au sociologue de donner la raison de cet Ă©cart. Or, rien nâest moins sĂ»r que ce soit par solidaritĂ© », si, par solidaritĂ©, on entend toujours, selon lâacception Ă©tymologique du terme, ce qui permet de produire une unitĂ© distinctive et exclusive â le in solidum toujours en vigueur chez les juristes. 29 Rien nâest moins sĂ»r, parce que lâobjectif, ou pour le moins le rĂ©sultat, nâest pas, tant sâen faut, de produire une unitĂ© distinctive et exclusive. Bien des Ă©changes et des dons intrafamiliaux se font par dĂ©faut â dĂ©faut de solution alternative pour la garde des enfants, faiblesse du revenu du mĂ©nage, etc. Bien des contrats tacites » viennent prĂ©server lâautonomie des unitĂ©s domestiques. Nombre de ces Ă©changes restent sĂ©quentiels et sans rĂ©ciprocitĂ©. Bref, on est encore loin dâatteindre le caractĂšre de nĂ©cessitĂ© du in solidum. Bien sĂ»r, il incombera au sociologue, Ă sa sagacitĂ© analytique, de dĂ©mĂȘler ce qui a valeur explicative entre, dâun cĂŽtĂ©, ce qui se prĂ©sente Ă lui tantĂŽt comme un impĂ©ratif moral â le sens de la dette Ă lâendroit des siens » â, tantĂŽt comme une propension Ă la conduite affective inhĂ©rente Ă tout individu, voire comme une obligation Ă©thique provenant de son environnement social, et, de lâautre, la contrainte lĂ©gale qui encadre aussi nombre de ces comportements. Cela laisse la place Ă bien des interprĂ©tations, bien des prĂ©sentations dans des registres lexicaux diffĂ©rents, peut-ĂȘtre mĂȘme des rapprochements analogiques avec lâidĂ©e du in solidum, mais interdit toujours dâen faire une entitĂ© sociologique Ă mĂȘme dâexpliquer lâordonnancement et le fonctionnement de notre sociĂ©tĂ©. Le raisonnement selon la logique du comme si » est ici tout Ă fait pernicieux. 30 Ă cet Ă©gard, il est prĂ©fĂ©rable de rester durkheimien et, comme le fait lâauteur de De la division du travail social, de penser fonctionnellement la solidaritĂ©. Le fameux distinguo quâil introduit entre sociĂ©tĂ© de solidaritĂ© mĂ©canique » et sociĂ©tĂ© de solidaritĂ© organique » â purement nominal en lâoccurrence â repose moins sur la description fine des comportements des individus de ces deux types de sociĂ©tĂ© que sur la comprĂ©hension de la structure propre de celles-ci â leur degrĂ© de division du travail social, selon sa terminologie â et donc, la nature de la solidaritĂ© Ă lâĆuvre â similitude, dans un cas ; complĂ©mentaritĂ©, dans lâautre. DĂšs lors, partage des croyances, imitation des comportements, expression de sentiments communs, etc., peuvent exister dans les deux cas, ce nâest pas ce qui les distingue. Ce qui les distingue est lâopĂ©rativitĂ© sociale de la solidaritĂ© quâelles mobilisent â unitĂ© par similaritĂ©, dâune part ; unitĂ© par interdĂ©pendance, dâautre part. Pour lâexprimer autrement, la leçon durkheimienne concernant la solidaritĂ© » appelle Ă porter dâabord son attention Ă lâĂ©chelle sociale Ă laquelle il faut la rapporter. 31 Suivons la leçon Ă lâĂ©chelle de nos sociĂ©tĂ©s de dĂ©mocratie providentielle, dâĂtat providence toujours plus largement dĂ©ployĂ©, quel rĂŽle et quelle place fonctionnels pourrait tenir la prĂ©tendue solidaritĂ© familiale » ? On peut rĂ©pondre dâune formule la portion congrue. La production des biens, lâĂ©ducation, les soins de santĂ©, lâamĂ©nagement de lâenvironnement et les multiples autres dimensions de la vie sociale, tout cela Ă©chappe largement Ă lâemprise de la famille, quelle que soit son extension. Lui reste indĂ©niablement ce que lâon a tendance aujourdâhui Ă rassembler sous lâappellation de care et qui recouvre autant des actes matĂ©rialisĂ©s que des expressions affectives parfois ambivalentes. Certainement aussi, une large part de ce que lâon fera relever des relations intimes affectivo-sexuelles et des dĂ©viances y affĂ©rentes â pour lesquelles on ne mobilise gĂ©nĂ©ralement pas le lexique de la solidaritĂ© ». Pour autant, cela fait-il de la famille une instance de solidaritĂ© Ă lâĂ©chelle de la sociĂ©tĂ© ? Ou, pour mieux lâĂ©noncer, cela fait-il dâelle le lieu dâune solidaritĂ© distinctive, autonome, spĂ©cifique, qui organise diffĂ©remment le rapport de lâindividu au collectif de la solidaritĂ© socialement organisĂ©e ? 32 Ăvidemment, non. Le rĂ©siduel de solidaritĂ©, si lâon peut sâexprimer ainsi, que nous y rencontrons nâest en rien alternatif, ni mĂȘme complĂ©mentaire â au sens strict de lâexpression â, de la forme organisĂ©e socialement de la solidaritĂ©, de la dĂ©mocratie providentielle, selon la formule que nous avons adoptĂ©e. Si la notion de care a peut-ĂȘtre contribuĂ© Ă le faire accroire, le discours politique lâa fait sans vergogne. Encore que la premiĂšre nây incite pas outre mesure. Certains travaux de sciences Ă©conomiques et sociales avaient amplement montrĂ© que la famille se mobilisait dâautant mieux dans la prise en charge des siens que des programmes de politiques sociales venaient lâappuyer [24]. La proposition mĂ©rite dâĂȘtre considĂ©rĂ©e avec attention et, possiblement Ă©largie Ă bien des domaines de la vie sociale. Elle souligne, en tout cas, quâau sein de nos sociĂ©tĂ©s il ne saurait ĂȘtre constatĂ© de pratiques familiales de type solidariste au sens strict du in solidum distinctives et exclusives donc. On ne constate que des Ă©changes au sein dâun systĂšme de parentĂ© largement conditionnĂ©s par la forte prĂ©sence des solidaritĂ©s publiques [25]. 33 En somme, la part rĂ©siduelle que lâon qualifie de solidaritĂ© familiale » mĂ©rite-t-elle vraiment de soutenir cette appellation ? Peut-on raisonnablement penser quâil sâagit dâune figure singuliĂšre de la solidaritĂ©, distincte de la solidaritĂ© collectivement organisĂ©e ? Nâa-t-on pas seulement affaire Ă une forme dâallure solidariste engageant spĂ©cifiquement les membres dâune mĂȘme famille, comme, en certaines occasions, on a pu dĂ©celer de la solidaritĂ© villageoise », de la solidaritĂ© de voisinage », voire de la solidaritĂ© ouvriĂšre » ou de la solidaritĂ© maffieuse », derriĂšre des pratiques dâentraide, de collusion, de soutien, de protection, etc., mises en Ćuvre, le plus souvent conjoncturellement, Ă lâĂ©chelle des groupes sociaux considĂ©rĂ©s ? Il nâempĂȘche, on nây aura dĂ©tectĂ© aucun principe de structuration dâun ordre social dĂ©fini [26]. Ces solidaritĂ©s-lĂ ne peuvent prendre de signification sociologique spĂ©cifiĂ©e dans nos sociĂ©tĂ©s, bien quâelles vĂ©hiculent beaucoup de sens sur les plans idĂ©ologique et politique. Lorsque, par exemple, il est question de faire triompher la cause du prolĂ©tariat peuple et de son affranchissement de la domination bourgeoise Ă©lite, ou celle de la dĂ©croissance Ă©conomique et du retour aux valeurs de la proximitĂ©, ou, encore, celle dâun engagement sectaire que lâon professe. Ce dont la sociologie nâen peut mais. Remarques terminales pour sâaffranchir dâune notion-Ă©cran 34 Notons, en premier lieu, que si la notion de solidaritĂ© familiale garde un tel pouvoir de sĂ©duction thĂ©orique câest probablement parce que, comme la notion de famille elle-mĂȘme, elle est toute imprĂ©gnĂ©e de nos idĂ©ologies sociales. Nonobstant les confrontations sociales â rarement dĂ©menties depuis la RĂ©volution française â portant sur la famille, son organisation, ses prĂ©rogatives, sa place dans lâordonnancement social, il est remarquable que ces derniĂšres viennent toujours conforter lâidĂ©e que la famille Ă laquelle on se rĂ©fĂšre procĂšde dâun invariant â mĂ©taphysique ou anthropologique â qui lui confĂšre sa nature propre. Une essence de la famille en quelque sorte. Il subsiste notamment, aujourdâhui toujours, un fond culturel qui tend Ă reconnaĂźtre Ă la famille une fonction principielle, quelquefois hiĂ©rarchique, dans lâĂ©tablissement ordonnĂ© du monde social. Base » de la sociĂ©tĂ©, expression contemporaine dâune loi » anthropologique premiĂšre, Ă©manation dâune pulsion primordiale de lâindividu, plus petite unitĂ© Ă©conomico-sociale de la sociĂ©tĂ© et nombre dâautres formules dâĂ©vidence de ce type constituent ce fond culturel dont on peut faire lâhypothĂšse quâil sâenracine dans lâhistoire longue de nos sociĂ©tĂ©s. 35 De ce point de vue, la notion de solidaritĂ© familiale » a des relents de sociĂ©tĂ© clanique quand celle-ci subordonne tout exercice de la volontĂ© individuelle Ă celle du groupe. Quand, finalement, lâindividu sâefface devant le groupe et le groupe sâaffirme devant tous les autres formant la sociĂ©tĂ© ou, plus exactement, lâenvironnement social. Câest cette rĂšgle qui prĂ©valait dans lâorganisation des sociĂ©tĂ©s barbares » lorsque le lien de sang primait lâordre politique et social. Ce qui nâinterdisait nullement, notons-le en passant, quâelles pouvaient Ă©lire dĂ©mocratiquement une femme Ă la tĂȘte de leur groupe ou Ă lâentretien de leurs croyances religieuses [27]. Ici, la famille, câest-Ă -dire le clan familial, et sa forte solidaritĂ© â au sens du in solidum envisagĂ© plus haut â forment ordre social. Ils se confondent. Ce nâest pas autre chose quâenvisageait Durkheim sous lâappellation de solidaritĂ© mĂ©canique » et quâil imputait aux sociĂ©tĂ©s de faible division du travail dites aussi, dans le vocabulaire Ă©volutionniste de lâĂ©poque, sociĂ©tĂ©s archaĂŻques. Rien donc de trĂšs surprenant Ă ce que cette vision dâun familial faisant bloc, dâune aussi nĂ©cessaire quâimpitoyable solidaritĂ© des constituants individuels du groupe familial, ait laissĂ© quelques traces dans notre imaginaire social. Nâest ici Ă lâĆuvre quâun processus ordinaire de transmission et de perdurance de nos croyances sociales. Bref, la famille unie, solidaire, pilier de la sociĂ©tĂ©, a de quoi hanter notre imaginaire social [28]. Câest en ce sens que nous envisageons la solidaritĂ© familiale » comme un syntagme affectif ». 36 Câest dire dâune autre maniĂšre que la famille » reprĂ©sente de fait une valeur sociale dont on ne saurait ignorer lâimportance et lâinfluence dans notre vision du monde social. Ce qui sây rattache, câest-Ă -dire toutes les occurrences pratiques qui mobilisent le syntagme famille », depuis le nom de famille jusquâĂ lâesprit de famille, sans oublier les enjeux conflictuels qui la traversent, est aussi frappĂ© du mĂȘme sceau axiologique. Ă charge, donc, pour le sociologue de rester wĂ©bĂ©rien, de comprendre les valeurs qui habitent notre monde social et le rapport quâil entretient avec celles-ci, partant, de se soumettre au devoir Ă©lĂ©mentaire du contrĂŽle scientifique de soi-mĂȘme » [29]. En termes plus directs sâagissant de notre propos, il lui revient de ne pas projeter sur les pratiques sociales dâĂ©changes intrafamiliaux quâil observe la valeur imaginaire du in solidum qui, peut-ĂȘtre, le ronge. Bref, Ă ne cĂ©der ni aux sirĂšnes des slogans de lâĂ©lite du welfare, ni aux facilitĂ©s rhĂ©toriques du moment gĂ©nĂ©ralement grosses de ces valeurs imaginaires. 37 DĂšs lors, et ce sera notre seconde remarque, il nâest pas soutenable, dans nos sociĂ©tĂ©s, dâaffirmer que la protection sociale de lâindividu passe nĂ©cessairement par la mobilisation de la solidaritĂ© familiale ». Si protĂ©ger » câest mettre en Ćuvre les moyens qui empĂȘcheront ou attĂ©nueront la rĂ©alisation dâun risque aux consĂ©quences dommageables et pour lâindividu et pour la sociĂ©tĂ©, nul doute que nos sociĂ©tĂ©s â mais peut-ĂȘtre toute sociĂ©tĂ© â sont lâinstance premiĂšre de protection de lâindividu. Il faut faire coĂŻncider la sociĂ©tĂ© et la famille, ramener la sociĂ©tĂ© Ă lâĂ©chelle de la famille, pour que cette derniĂšre puisse ĂȘtre regardĂ©e comme lâinstance effective et le cĆur de la protection de lâindividu. Câest ce que les visions extrapolatrices dâun Le Play, par exemple, avaient imaginĂ© dans des fresques reconstitutives de lâĂ©volution de la famille et de la sociĂ©tĂ©. Câest, cependant, ce que lâanthropologie, la sociologie ou lâhistoire, se gardent dâaffirmer depuis quelque temps maintenant. Nous lâavons Ă©voquĂ©, lâorganisation clanique familiale, câest dâabord de la sociĂ©tĂ© avant dâĂȘtre de la famille, au sens de lâimaginaire qui sert de support aux reprĂ©sentations que nous en donnons. 38 Pourtant, spontanĂ©ment, nous sommes amenĂ©s Ă penser que tout individu Ă©tant insĂ©rĂ©, dĂšs sa naissance, dans un tissu de relations dĂ©signĂ©es, reçues et vĂ©cues comme des relations familiales, câest dâabord sa famille qui va le protĂ©ger. Et â irrĂ©fragable image symbolique â de penser au nourrisson cet ĂȘtre frĂȘle et fragile, dĂ©pourvu de tout autre moyen que ses vagissements pour affronter le monde et donc menacĂ© de toutes parts de succomber aux pires maux sans la protection, bienveillante ajoute-t-on le plus souvent, de ses proches. Sans un entourage familial en quelque sorte spontanĂ©ment et fonciĂšrement attentif et protecteur, les premiers temps de la vie seraient bien difficiles. De fait, est-ce bien de cette protection que chacun bĂ©nĂ©ficie, Ă tout le moins dans le trĂšs grand nombre des cas. Ce qui est trĂšs heureux pour la survie de lâespĂšce, sâempresse de renchĂ©rir lâironique. Encore que, lâhistorien ou le psychologue ne se prive jamais dâassombrir le tableau en nous rappelant que le rejet de lâenfant, son abandon donc, se pratique toujours en nombre suffisant pour que des mesures » dont le ressort relĂšve de la collectivitĂ©, des mesures sociales donc, viennent y pallier. Mais nâergotons pas, le fait massif, largement Ă©tabli empiriquement, est que les vagissements cesseront puisque des tĂȘtes familiĂšres se seront penchĂ©es sur le berceau. 39 Aussi, de ces maniĂšres de faire, pour le moins ancestrales, pour ne pas dire archaĂŻques, nâest-il pas lĂ©gitime dâinfĂ©rer que la protection de tout individu commence par ses proches ? Que la famille est le cĆur de la protection » ? Ce que le droit dâune certaine maniĂšre viendrait sanctifier, en tout cas conforter, en faisant obligation au parent de veiller Ă lâentretien et Ă la protection de son enfant. 40 Malheureusement, pour le sociologue, ce nâest lĂ quâune Ă©vidence premiĂšre », comme lâaurait Ă©noncĂ© Bachelard â ce quâil tenait pour une premiĂšre source dâerreur scientifique. Nous lâavons dit, il y a indubitablement un problĂšme de mĂ©thode quant au raisonnement quâil lui reviendra de suivre. Difficile pour lui, en effet, dâinfĂ©rer dâune pratique, mĂȘme massive, voire hĂ©gĂ©monique, quâelle puisse tirer dâelle-mĂȘme sa raison dâĂȘtre. Dâautant que, sâagissant des sociĂ©tĂ©s humaines pour le moins, la part que lâon pouvait attribuer Ă lâinstinct sâest trouvĂ©e fortement contrebalancĂ©e par celle dĂ©rivant des facultĂ©s dâadaptation et dâinnovation dont tĂ©moigne aussi lâĂȘtre humain. Les dispositions » que le sociologue enfouit en tout individu sont toujours dĂ©jĂ habitĂ©es dâune dimension sociale, câest-Ă -dire, toujours dĂ©jĂ façonnĂ©es par lâenvironnement social dans lequel celui-ci se trouve plongĂ©. Lâhabitus mis Ă lâhonneur par Bourdieu nâa pas dâautre vocation que de le rappeler et dâautoriser la reproduction, pour le grand nombre, de ce qui aura Ă©tĂ© acquis, jusques et y compris la propension Ă la variation, pour peu quâelle fasse partie des apprentissages. 41 Nous Ă©carterons donc toute façon de poser le problĂšme sociologique qui prĂ©suppose, pour fournir une rĂ©ponse, que soit admis quâune loi gĂ©nĂ©rale du social â historique et principielle, Ă la maniĂšre comtienne â ou tout Ă©quivalent tĂ©lĂ©ologique lui prĂ©side et en conditionne les faits dâobservation. Toutes les sociologies du dĂ©voilement » sont Ă ce prix et se rĂ©vĂšlent purement tautologiques. Nous lui prĂ©fĂ©rerons une autre dĂ©marche. Une dĂ©marche qui sâen tienne Ă une maniĂšre de problĂ©matisation des donnĂ©es factuelles susceptibles dâĂȘtre rassemblĂ©es. Lesquelles, soit dit en passant, forment tout autant lâenvironnement de lâindividu que ses motivations psychologiques Ă lâaction. Sur cette base â ce quâon appelle gĂ©nĂ©ralement les donnĂ©es du terrain » â lâinterprĂ©tation hypothĂ©tique, sous contrĂŽle scientifique de soi-mĂȘme » pour reprendre la formule de Weber, peut avoir cours et sâengager dans le procĂšs hermĂ©neutique â quâil soit de type gadamĂ©rien, wĂ©bĂ©rien ou autre, est une autre question. Câest aussi ce quâon nomme plus couramment la dĂ©couverte scientifique. 42 Câest pourquoi, et pour en revenir Ă la protection de lâindividu social contemporain, il nous paraĂźt dĂ©cisif de penser ce dernier dans lâenvironnement social rĂ©el, actuel, qui est le sien. Donc, de procĂ©der Ă la description la plus ajustĂ©e de celui-ci. Or, cet environnement est autant fourni par sa famille que par ce par quoi cette famille se trouve traversĂ©e, enserrĂ©e, balisĂ©e, si ce nâest contrainte. Ce qui revient dâabord Ă dire que nous ne pouvons tenir la famille pour une entitĂ© sociale flottante, une forme autonome de sociabilitĂ© seulement marginalement contrainte par un environnement sociĂ©tal. Ce quâĂ©nonce la fameuse et fumeuse cellule de base » de toute sociĂ©tĂ©, lorsquâelle est entendue comme lâunitĂ© gĂ©omĂ©trique constitutive du social. Tout au contraire, la famille, tout ce que nous nommons famille â anthropologues et historiens ont su lâĂ©tablir â est une forme sociale spĂ©cifiĂ©e, variablement organisĂ©e et rĂ©glementĂ©e selon son environnement social historique, et dans laquelle se trouve situĂ© lâindividu. Ce, aussi bien au sens de ses coordonnĂ©es identificatoires que de son Ă©cologie culturelle. Pour faire image la famille nâest quâune matrice sociale dâĂ©closion des individus. Cela paraĂźt banal et Ă©vident, mais cela entraĂźne quâon ne peut la sĂ©parer de ce dont elle remplit la fonction, Ă savoir la protection sociale, ou mieux, socialisĂ©e de lâindividu. Partant, mĂȘme ce qui paraĂźt le moins contraint, le plus spontanĂ©, le plus gĂ©nĂ©reux ou empathique, relĂšve de cette fonction quand bien mĂȘme ses ressorts seraient-ils ancrĂ©s dans lâintime reprĂ©sentation que lâon a de sa famille. 43 En somme, et pour nous rĂ©sumer, la famille est dâabord celle de la sociĂ©tĂ© dans laquelle elle prend place. De lĂ , les formes, les agencements, les fonctions variables quâelle a pu connaĂźtre et remplir au cours des temps. De lĂ aussi les comprĂ©hensions, les valorisations, les normes â et leurs contestations â qui lâont accompagnĂ©e au cours de ces mĂȘmes temps. On en tirera comme consĂ©quence sociologique que la famille nâest pas une entitĂ© sociale autonome, seulement inscrite de maniĂšre contingente dans une formation sociale dont les contraintes rendraient compte des formes Ă©volutives quâelle aura admises, mais une modalitĂ© sociale dâinscription des individus adaptĂ©e aux caractĂ©ristiques majeures de la sociĂ©tĂ© considĂ©rĂ©e. 44 Partant, on ne saurait lui confĂ©rer la moindre autonomie ontologique â que ce soit sous forme dâinvariant anthropologique ou sous celle de figure mythologique Ă©ternelle â, mais seulement lui attribuer lâautonomie relative des formes organisationnelles du social. Autrement dit, lui reconnaĂźtre le statut dâentitĂ© empirique conditionnelle. Ce qui entraĂźne que les Ă©changes que nous y rencontrons, et que lâon nâappelle solidaritĂ© familiale » que par facilitĂ© de langage, seront frappĂ©s du mĂȘme statut Ă©pistĂ©mologique. 45 DĂšs lors, la protection que ladite famille est en mesure dâapporter Ă lâindividu est Ă comprendre comme une fonction sociale, et non comme une fonction familiale, de protection des siens. Du moins, tant que lâon situe sa comprĂ©hension Ă lâĂ©chelle de la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre. Car les Ă©ventuelles stratĂ©gies familiales reposant sur lâĂ©lection des siens Ă des fins de dĂ©jouer les mĂ©canismes gĂ©nĂ©raux de la rĂ©gulation sociale ne participent pas, ni de prĂšs, ni de loin, dâune logique de solidaritĂ© intrafamiliale, au sens clanique » oĂč nous lâavons entendue prĂ©cĂ©demment. Au mieux, comme il ressort des travaux de Alain Degenne et al. ou de Jean-Hugues DĂ©chaux portant sur le recours Ă la famille dans la recherche dâemploi, il sâagit dâune modalitĂ© â dâailleurs plus payante en milieu ouvrier que chez les cadres â concurrente des circuits officiels [30]. Non donc dâune stratĂ©gie familiale de confiscation des emplois Ă des fins de constitution dâune entitĂ© rendue ainsi plus fermĂ©e Ă son environnement et ses membres plus Ă©troitement interdĂ©pendants, ce que vise lâobjectif solidaire. 46 Ainsi, la fonction de protection que peut remplir de nos jours la famille lâassume-t-elle dâabord dans un univers social lui-mĂȘme dĂ©jĂ fortement organisĂ© pour assurer lâopĂ©rativitĂ© de cette protection. Ce que la famille â comprenons prĂ©cisĂ©ment lâensemble instituĂ© de la parentĂ© â peut apporter aux siens prend corps dans la protection sociale tous azimuts dont bĂ©nĂ©ficie chaque individu dans notre sociĂ©tĂ©. Ce qui pourrait largement expliquer la modestie relative des types dâaide ainsi apportĂ©e â notable dans tous les travaux y affĂ©rents. Maintenant, sâagit-il dâune fonction rĂ©siduelle, complĂ©mentaire, substitutive ? Participe-t-elle de stratĂ©gies diffĂ©renciĂ©es des groupes sociaux ? Est-elle instrumentalisĂ©e par le pouvoir politique ? Etc. VoilĂ autant de questions Ă examiner indĂ©pendamment de celle de sa prĂ©tendue nature sociologique de solidaritĂ© ». Alors faut-il toujours faire usage du syntagme de solidaritĂ© familiale », mĂȘme sâil ne doit ĂȘtre compris quâemboĂźtĂ© dans la solidaritĂ© sociale organisĂ©e ? En toute rigueur on devrait pouvoir en faire lâĂ©conomie. Principalement parce quâil connote lâidĂ©e fausse que coexistent, au sein de notre sociĂ©tĂ©, deux principes normatifs de structuration de la solidaritĂ©. La famille », peut-on affirmer sans ambages, nâassure plus de rĂŽle majeur dans lâentreprise de solidarisation des individus Ă lâĂ©chelle de la sociĂ©tĂ©. Câest un effet imaginaire dâhystĂ©rĂ©sis que de le lui prĂȘter. Mais Ă lâimage de bien dâautres syntagmes tout aussi affectifs » â tels ceux de sociĂ©tĂ© », de famille » â nous ne savons le faire sans recourir Ă des formulations quelque peu contournĂ©es. Par dĂ©faut de concepts adĂ©quats ? Par imprĂ©cision sĂ©mantique ? Peut-ĂȘtre. Aussi recourt-on avec facilitĂ© â et nous avons Ă faire amende honorable â au syntagme affectif » [31]. Notes [1] Je tiens expressĂ©ment Ă remercier Jean-Hugues DĂ©chaux pour les remarques et suggestions quâil mâa faites sur une premiĂšre version de ce texte. Elles mâont engagĂ© Ă affiner, prĂ©ciser et assumer mon propos. Elles mâont aussi confortĂ© dans lâidĂ©e que la rĂ©flexion scientifique gagne plus Ă procĂ©der de maniĂšre critique quâĂ accumuler de maniĂšre syncrĂ©tique des rĂ©fĂ©rences. [2] Par idĂ©ologique », nous entendons ici ce qui relĂšve dâun systĂšme de croyances suffisamment consistant pour conduire lĂ©gitimement un individu Ă lâaction. IdĂ©ologique » recouvre donc en partie ce que lâon nomme aussi social ». Câest-Ă -dire, ce qui sâimpose naturellement comme constitutif de ce dernier. [3] Jean-Hugues DĂCHAUX, Lâentraide familiale au long de la vie. Des pratiques inĂ©galement rĂ©parties », Informations sociales, Cnaf, n° 137, 2007, p. 29. [4] Jean-Hugues DĂCHAUX, Les Ă©changes dans la parentĂ© accentuent-ils les inĂ©galitĂ©s ? », SociĂ©tĂ©s contemporaines, n° 17, 1994, p. 75. [5] Pour Weber, sens subjectif et sens objectif portent sur les mĂȘmes objets empiriques. Il sâagit donc, comme le note Jean-Marc TETAZ, dâune distinction entre deux perspectives sur la rĂ©alitĂ© empirique du monde social et culturel, et non de la distinction de deux niveaux ou de deux ordres le monde empirique dâune part, les valeurs transcendantes de lâautre ». Voir Jean-Marc TETAZ, âSens objectifâ. La fondation de lâinterprĂ©tation du sens de lâagir social dans une thĂ©orie philosophique du sens », Archives de sciences sociales des religions, n° 127, 2004, p. 177. [6] Michel CHAUVIĂRE, Michel MESSU, Les apories de la solidaritĂ© familiale », Sociologie du travail, vol. 45, n° 3, dĂ©cembre 2003, pp. 327-342. [7] Pour rappel, la tanguysation des relations intra-familiales est lâexpression qui a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă la maniĂšre dont un reprĂ©sentant de la progĂ©niture, sorti de lâenfance, parfois fort bien insĂ©rĂ© socialement, pouvait se complaire Ă vivre et bĂ©nĂ©ficier des services et de la chaleur de sa famille dâorigine. Lâexpression sâest imposĂ©e Ă la suite du succĂšs populaire du film de Ătienne Chatiliez, Tanguy 2001. [8] Ce dont rendent compte, Ă leur maniĂšre, les rĂ©gularitĂ©s statistiques Ă©tablies selon le statut social, la gĂ©nĂ©ration, le sexe, etc. Voir Jean-Hugues DĂCHAUX, 1994, art. cit. ; Nicolas HERPIN, Jean-Hugues DĂCHAUX, Entraide familiale, indĂ©pendance Ă©conomique et sociabilitĂ© », Ăconomie et statistique, n° 373, 2004, p. 3-32. Sachant que ces derniĂšres tĂ©moignent de ce que Weber aurait appelĂ© un agir en entente » [EinverstĂ€ndnishandeln] dont lâidĂ©altype nous fait dĂ©faut pour pouvoir lâinterprĂ©ter comme un agir en sociĂ©tĂ© » [Gesellschaftshandeln]. [9] Cette qualification procĂšde du petit texte Ă©crit par Freud et intitulĂ© Le Roman familial des nĂ©vrosĂ©s, en commentaire du livre de Otto Rank, Le Mythe de la naissance du hĂ©ros 1909. Ledit roman » sâĂ©laborerait dans le fantasme de la mise Ă distance du rĂ©el familial, singuliĂšrement paternel, pour rĂ©investir celui-ci des attentes parfois déçues opĂ©rant depuis lâinstance dâun Sur-moi ainsi façonnĂ©. [10] Une fois encore on peut en appeler aux arguments que dĂ©veloppe Weber lorsquâil cherche Ă Ă©tablir Ă quel type de sens peut prĂ©tendre accĂ©der le sociologue. Dans son fameux exemple du jeu de cartes, Max Weber distingue nettement les rĂšgles normatives du jeu » â sorte de droit naturel » du jeu autorisant par sa discussion une jurisprudence » du jeu â et les rĂšgles pratiques » quâappliquent les joueurs au cours de leur partie. Ceux-ci, sans ignorer totalement les premiĂšres, peuvent les mĂ©connaĂźtre, les interprĂ©ter Ă leur guise, cela nâinterdit pas que la partie puisse se dĂ©rouler. Câest mĂȘme cette mĂ©connaissance ou interprĂ©tation subjective quâil conviendra de prendre en considĂ©ration si un observateur un sociologue souhaitait dĂ©crire et expliquer le dĂ©roulement de la partie. Mais il ne pourrait valablement procĂ©der Ă lâexplication quâen se rĂ©fĂ©rant au niveau normatif du jeu pour expliquer, par exemple, le tour singulier quâa pris la partie, eu Ă©gard donc la mĂ©connaissance des joueurs. Cette distinction entre les rĂšgles empiriquement suivies et les normes idĂ©ales â que Weber nomme dogmatiques â sont au fondement de la dĂ©marche mĂ©thodologique de la sociologie wĂ©bĂ©rienne et engage le sociologue Ă ne pas commettre la mĂ©tabase du sens, câest-Ă -dire Ă passer subrepticement du sens subjectif » â celui que suivent empiriquement les acteurs â au sens objectif » â celui qui rend compte de la cohĂ©sion dâensemble, singuliĂšrement du social ». [11] Marie-ThĂ©rĂšse JOIN-LAMBERT dir., Les Politiques sociales, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques & Dalloz, 1994. [12] Voir notamment William GENIEYS, Patrick HASSENTEUFEL, Entre les politiques publiques et la politique lâĂ©mergence dâune Ă©lite du Welfare », Revue française des affaires sociales, n° 4, 2001, pp. 41-50 ; William GENIEYS, LâĂlite des politiques de lâĂtat, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2008. [13] William Genieys estime que Lâaccroissement des modes dâexpression du pluralisme politique, phĂ©nomĂšne plus ou moins avĂ©rĂ© par la pratique de la gouvernance dĂ©mocratique dans les Ătats occidentaux, conduit en retour Ă lâavĂšnement de nouvelles pratiques Ă©litaires dont lâaction tend de plus en plus Ă Ă©chapper au contrĂŽle politique », in LâĂ©mergence dâĂ©lites programmatiques face Ă la mutation de lâĂtat français », Institut de CiĂšncies PolĂtiques i Socials ICPS Mallorca, 244, 2007, pral. 08008 Barcelona España [14] Sur la question du suffrage familial, voir Anne VERJUS, Vote familialiste et vote familial. Contribution Ă lâĂ©tude du processus dâindividualisation des femmes dans la premiĂšre partie du xixe siĂšcle », GenĂšses, n° 31, 1998, pp. 29-47 ; et Le Cens de la famille. Les femmes et le vote, 1789-1848, Belin, 2002. [15] Pour des dĂ©veloppements plus complets sur la question du ciblage des allocations familiales, voir Julien DAMON, La mise sous condition de ressources des allocations familiales une discrimination vraiment positive ? », Revue de droit sanitaire et social, vol. 44, n° 2, 2008, pp. 336-352 ; Gilles SĂRAPHIN, LâuniversalitĂ© en dĂ©bat retour sur un âfondementââ de la politique familiale française », in Margunn BJORNHOLT, Anca DOHOTARIU Guest editors, Les Annales de lâUniversitĂ© de Bucarest Les politiques familiales en contexte europĂ©en », SĂ©rie Sciences Politiques, vol. XVII, n° 1, 2015, pp. 55-73, [16] Ă titre indicatif, pour le monde anglo-saxon Anthony GIDDENS, The Transformation of Intimacy Sexuality, Love and Eroticism in Modern societies, Cambridge, Polity Press, 1992 traduit en français en 2004 aux Ăditions du Rouergue. Pour le monde francophone François de SINGLY, Le Soi, le couple et la famille, Nathan, 1996. [17] Au dĂ©but des annĂ©es 2000, un thĂšme social » sâimpose la montĂ©e des incertitudes ». LiĂ© Ă la persistance dâun fort taux de chĂŽmage, aux difficultĂ©s gestionnaires des systĂšmes de protection sociale, Ă la globalisation des Ă©changes et Ă la rĂ©volution internet », le thĂšme fait dĂ©bat dans la sociĂ©tĂ©. Il est largement repris par les sociologues et, en 2012, lâAISLF tient son 19e CongrĂšs sous forme dâaugure Penser lâincertain ? [18] Voir Michel MESSU, Du familialisme au parentalisme quels nouveaux enjeux pour la politique familiale française ? », communication au Colloque Le nouveau contrat familial, INRS-MontrĂ©al, 28-29 fĂ©vrier 2008. Non publiĂ©. [19] Pour plus dâinformation voir, entre autres, les contributions de RĂ©mi LENOIR, GĂ©nĂ©alogie de la morale familiale, Seuil, 2003 ; Michel CHAUVIĂRE, Virginie BUSSAT, Famille et codification. Le pĂ©rimĂštre du familial dans la production des normes, La Documentation française, 2000 ; Jacques COMMAILLE, Claude MARTIN, Les enjeux politiques de la famille, Bayard, 1998 ; Michel MESSU, Les Politiques familiales du natalisme Ă la solidaritĂ©, Les Ăditions ouvriĂšres, 1992. [20] Les deux Ă©ditions ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par Privat, Toulouse. [21] JĂ©rĂŽme MINONZIO, Les âsolidaritĂ©s familialesâ dans lâespace public. Ămergence et controverses dans le cas de la dĂ©pendance des personnes ĂągĂ©es », Revue des politiques sociales et familiales, n° 77, 2004, pp. 7-19. [22] Voir Michel MESSU, De la mĂ©thode en sociologie. Livre I Pour une Ă©pistĂ©mologie modeste en sociologie. Livre II De la mĂ©thode sans mĂ©thodologisme, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2016. [23] Ibid. [24] Voir, par exemple Françoise LE BORGNE-UGUEN, Muriel REBOURG dir., Lâentraide familiale rĂ©gulations juridiques et sociales, Presses universitaires de Rennes, 2012. [25] Dont les failles », les trous » et autres manquements leur sont, le plus souvent, redevables et font, gĂ©nĂ©ralement, lâobjet de demandes dâextension Ă lâendroit de ces solidaritĂ©s publiques ». Ce que la mĂ©taphore du filet de sĂ©curitĂ© » traduit assez bien. [26] Ainsi, les solidaritĂ©s paysannes » longtemps opĂ©ratoires dans un contexte dâagriculture familiale nâont plus guĂšre de poids dans le cadre dâune agriculture industrialisĂ©e et soumise aux contrats juridiques avec les firmes agro-alimentaires et les banques. A fortiori ne peuvent-elles en avoir Ă lâĂ©chelle de la sociĂ©tĂ© globale. Le paysan en dĂ©tresse dâaujourdâhui en appelle Ă la solidaritĂ© nationale ». [27] On consultera avec intĂ©rĂȘt lâouvrage de Vincent AUCANTE, Barbares le retour, DesclĂ©e de Brouwer, 2016. [28] Nous entendons imaginaire social » dans le sens que lui a donnĂ© Maurice GODELIER dans LâimaginĂ©, lâimaginaire et le symbolique, CNRS-Ăditions, 2015. [29] Max WEBER, LâobjectivitĂ© de la connaissance » in Essai sur la thĂ©orie de la science, trad. et intro. de Julien FREUND, Plon, 1965, p. 183. [30] Alain DEGENNE, IrĂšne FOURNIER, Catherine MARRY, Lise MOUNIER, Les relations au cĆur du marchĂ© du travail », SociĂ©tĂ©s contemporaines, 1991, pp. 75-97 ; Jean-Hugues DĂCHAUX, Les Ă©changes dans la parentĂ©... », art. cit. [31] Câest probablement pourquoi les travaux les plus aigus portant sur les relations et les Ă©changes au sein des rĂ©seaux familiaux, alors quâils Ă©tablissent trĂšs nettement les limites sĂ©mantiques de la notion de solidaritĂ© familiale », ne peuvent gĂ©nĂ©ralement en faire lâĂ©conomie dans leurs dĂ©veloppements et, particuliĂšrement, leurs intitulĂ©s. On pensera Ă AgnĂšs Pitrou, dĂ©jĂ Ă©voquĂ©e, Ă Martine SĂ©galen qui nâhĂ©site pas Ă parler des indispensables solidaritĂ©s familiales », Ă IrĂšne ThĂ©ry, Florence Weber, Claudine Attias-Donfut, etc. qui, dans lâouvrage collectif dirigĂ© par Serge Paugam, Repenser la solidaritĂ© PUF, 2007, font exploser la notion sans pouvoir sâen dĂ©partir. Plus rĂ©cemment, Marianne Modak et al., aprĂšs Claude Martin, se posent explicitement la question de savoir sâil convient de parler de solidaritĂ© » sâagissant des Ă©changes de services et de soins assurĂ©s par les femmes au sein du rĂ©seau familial, mais leurs rĂ©flexions sont prĂ©sentĂ©es â par lâĂ©diteur il est vrai â afin que vivent les solidaritĂ©s familiales et quâelles conservent leur force... » SolidaritĂ©s familiales ? », Nouvelles questions fĂ©ministes, vol. 37, 2018/1.
Cette mĂ©taphore constitue le sous-titre du CrĂ©puscule des idoles ou comment philosopher Ă coups de marteau. Nietzsche qui dans son oeuvre prĂŽne une Umwertung, une transvaluation ou inversion de toutes les valeurs, entre ici en guerre d'une façon qui lui est propre par l'auscultation des 'idoles'. Que faut-il entendre par lĂ ? " Quant aux idoles qu'il s'agit d'ausculter, rĂ©pond Nietzsche, ce ne sont cette fois pas des idoles de l'Ă©poque, mais des idoles Ă©ternelles, que l'on frappe ici du marteau comme d'un diapason - il n'est pas d'idoles plus anciennes, plus sĂ»res de leur fait, plus enflĂ©es de leur importance... Pas non plus de plus creuses... Cela ne les empĂȘche pas d'ĂȘtre celles auxquelles on croit le plus. Aussi, surtout dans le cas de la plus distinguĂ©e d'entre elles, ne les appelle-t-on jamais des idoles... " CrĂ©puscule des idoles, Avant-propos, . Les idoles ne se prĂ©sentent pas comme telles, c'est lĂ le merveilleux effet de la croyance ou de la volontĂ© de vĂ©ritĂ©. Il faut les sonder, et pour ce faire utiliser le marteau afin de laisser entendre Ă qui veut entendre, qui a des oreilles le son qu'elles rendent. PlutĂŽt que de fracasser, le marteau nietzschĂ©en ausculte, un peu Ă la façon du maillet du mĂ©decin procĂ©dĂ© mĂ©dical de percussion, inventĂ© en Allemagne . Il ne s'agit pas de voir - car au crĂ©puscule bien malin qui peut voir -, mais d'Ă©couter ce qui se passe Ă l'intĂ©rieur, dans la fausse profondeur des valeurs. Nietzsche s'adresse Ă l'ouĂŻe, ce qui est assez peu commun chez les philosophes pour ĂȘtre soulignĂ©. Nietzsche est musicien. Or, la mĂ©taphore elle aussi est musique. L'usage philosophique de la mĂ©taphore n'est donc pas indiffĂ©rent ; il est propre Ă un style. C'est ce qu'il s'agit de comprendre. Une tentation est de faire de Nietzsche un poĂšte-philosophe, et de marquer par lĂ sa singularitĂ© dans les rangs des penseurs. Cette affiliation manque le sens du concept nietzschĂ©en de style et ne lui rend pas hommage, quoi qu'on en dise. Si notre philosophe part en guerre contre le dogmatisme, il tire aussi de belles salves Ă l'encontre de la superstition du sens allĂ©gorique dont tĂ©moignent " ces hybrides, notamment, philosophes poĂ©tisants et artistes philosophants " Humain, trop humain, I, § 110 . SpĂ©ciale dĂ©dicace aux heideggeriens... Il ne faut pas oublier que Nietzsche, avant de se prĂ©senter comme psychologue, revendique la profession de philologue. Il exige d'ĂȘtre lu avec patience, vigilance et modestie. Il Ă©crit non pas un discours mais un texte, offert au souci philologique. Et beaucoup de tournures et surtout de saillies du texte sont lĂ pour " tromper la vigilance, toujours mĂ©diocre, des philosophes " Par-delĂ bien et mal, § 19 . Qu'en est-il alors de cet outil, la mĂ©taphore nietzschĂ©enne ? Elle fait sonner les choses tout en marquant l'insuffisance du langage et la fausse Ă©vidence de la clartĂ©. Surtout pas de bergsonisme ici ! L'usage de la mĂ©taphore, le privilĂšge qui lui est donnĂ© sur ce qu'on appelle le concept, participe de la critique du discours philosophique de sa dĂ©construction , mais ouvre aussi les possibilitĂ©s d'un rapport constitutif au sens. Car la mĂ©taphore est originelle ; c'est le concept qui se greffe sur un rĂ©seau mĂ©taphorique. Pour le philosophe matĂ©rialiste, le multiple est avant l'un, et la mĂ©taphore fait rĂ©sonner d'emblĂ©e la multitude Ă qui sait entendre. Puisqu'elle se passe du schĂ©ma classique de la dĂ©signation oĂč un signe rĂ©fĂšre une chose par lui dĂ©limitĂ©e , la mĂ©taphore suggĂšre un rĂ©gime de signification par dĂ©tours oĂč ce qui est dit n'est dit que par dĂ©calage. Nietzsche veut Ă©viter par lĂ l'Ă©gypticisme " tout ce que les philosophes ont maniĂ© depuis des millĂ©naires, ce n'Ă©taient que des momies d'idĂ©es ; rien de rĂ©el n'est sorti vivant de leurs mains. Ils tuent, ces Messieurs les idolĂątres des notions abstraites, ils empaillent lorsqu'ils adorent, ils mettent tout en pĂ©ril de mort lorsqu'ils adorent " CrĂ©puscule des idoles, La 'Raison' dans la philosophie, § 1 . Face Ă cette momification si commune aux concepts philosophiques, le principal trait de la mĂ©taphore est d'offrir une pluralitĂ© d'interprĂ©tations. Elle fait le tour du propriĂ©taire, comme dit Derrida... " La mort de l'interprĂ©tation, c'est de croire qu'il y a des signes, des signes qui existent premiĂšrement, originellement, rĂ©ellement, comme des marques cohĂ©rentes, pertinentes et systĂ©matiques. La vie de l'interprĂ©tation, au contraire, c'est de croire qu'il n'y a que des interprĂ©tations " Foucault, " Nietzsche, Freud, Marx ", Colloque de Royaumont, . Le texte qui suit Ă prĂ©sent est la transcription d'un cours donnĂ© par Patrick Wotling 1998 , grand spĂ©cialiste du philosophe, auteur de nombreuses traductions et, entre autres, d'un ouvrage intitulĂ© Nietzsche et le problĂšme de la civilisation 1995 . Il dĂ©cline ici les principaux sens Ă donner Ă la mĂ©taphore nietzschĂ©enne " philosopher Ă coups de marteau " image de la force, outil de destruction, instrument d'Ă©valuation, image de la crĂ©ation Il est tentant de se prĂ©cipiter sur une comprĂ©hension de l'image qui semble s'offrir ou s'imposer spontanĂ©ment le marteau serait une image de la force, ou mĂȘme de la violence - il prolongerait donc l'image de la hache ou de la cognĂ©e du bĂ»cheron qu'utilisait dĂ©jĂ le § 37 de Humain, trop humain I, Ă propos de la thĂšse dĂ©fendue par Paul RĂ©e l'homme moral n'est pas plus proche du monde intelligible que l'homme physique " cette proposition, durcie et aiguisĂ©e sous les coups de marteau de la connaissance historique, pourra peut-ĂȘtre un jour, dans un avenir indĂ©terminĂ©, ĂȘtre la hache que l'on portera Ă la racine mĂȘme du 'besoin mĂ©taphysique' ". Le marteau serait donc un outil de destruction, ce qui semble s'accorder avec une opinion courante relative Ă Nietzsche, Ă savoir la virulence dont il fait preuve et dans son expression, et dans son projet dans son projet, parce qu'il est trop communĂ©ment admis que son objectif serait la destruction pure et simple du christianisme et de la morale - vision d'un Nietzsche essentiellement critique et destructeur. Apportons une premiĂšre nuance les commentateurs les plus prĂ©cis ajoutent qu'en rĂ©alitĂ©, l'objet sur lequel va s'abattre le marteau sont les tables de valeurs anciennes, ce Ă quoi l'on a cru jusqu'Ă prĂ©sent, c'est-Ă -dire encore les 'idoles'. Il s'agit donc d'un marteau Ă usage axiologique. Mais on voit que cette prĂ©cision modifie considĂ©rablement la portĂ©e de l'image puisqu'alors apparaĂźt une rĂ©fĂ©rence directe Ă un prĂ©dĂ©cesseur de Nietzsche en matiĂšre de destruction des idoles MoĂŻse, qui dĂ©truit le veau d'or - d'oĂč la nĂ©cessitĂ© de s'interroger sur le rapport entre la logique religieuse et la logique de la pensĂ©e nietzschĂ©enne la pensĂ©e de l'Ă©ternel retour nous y conviera . Mais en outre, un examen plus approfondi fait apparaĂźtre la surdĂ©termination de la mĂ©taphore. Car le marteau dĂ©signe Ă©galement une piĂšce intĂ©grĂ©e Ă un dispositif plus vaste, qui n'est pas destinĂ© Ă dĂ©truire, notamment un instrument de musique les marteaux de feutre du piano frappent les cordes pour les faire rĂ©sonner. Dans le mĂȘme sens, un autre personnage se sert d'un marteau le mĂ©decin, qui lui aussi utilise son diapason pour faire Ă©mettre un son au corps qui a Ă©tĂ© frappĂ©. La rĂ©fĂ©rence au mĂ©decin est particuliĂšrement intĂ©ressante, en cela que Nietzsche pense justement le philosophe comme 'mĂ©decin de la civilisation', et que d'autre part, le son rendu par le diapason du mĂ©decin est un son signifiant c'est un symptĂŽme indiquant l'Ă©tat de santĂ© ou de maladie du corps qui a Ă©tĂ© frappĂ© son gras, caverneux, sec, etc... , et fonde le diagnostic. En d'autres termes, le marteau est un instrument d'Ă©valuation, un instrument axiologique en frappant les idoles de son marteau, le philosophe se donne les moyens de constater leur 'Ă©tat de santĂ©', c'est-Ă -dire leur valeur entreprise qui prĂ©cĂšde nĂ©cessairement celle Ă laquelle on serait tentĂ© de penser en premier lieu, c'est-Ă -dire la destruction. Or, les idoles s'avĂ©reront malades, et rendront des sons inquiĂ©tants. Ce n'est pas tout la mĂ©taphore du marteau renvoie encore Ă l'image du sculpteur, celui qui utilise ciseau et burin pour imposer une forme nouvelle Ă une matiĂšre c'est donc une image de la crĂ©ation, et nous voilĂ aux antipodes du sens qui avait Ă©tĂ© dĂ©gagĂ© en premier lieu l'intĂ©rĂȘt de la mĂ©taphore tient justement Ă ce qu'elle permet de dĂ©passer d'apparentes oppositions ou contradictions que le langage ordinaire ne peut dire, et dont il ne peut surtout montrer la profonde solidaritĂ©. Ici, la solidaritĂ© de la destruction et de la crĂ©ation, explicitement thĂ©matisĂ©e dans La gĂ©nĂ©alogie de la morale, II, § 24. Le philosophe au marteau sera ainsi celui qui doit donner forme Ă des valeurs nouvelles - c'est en cela que Nietzsche parle d'un 'divin marteau' dans le § 62 de Par-delĂ bien et mal. On le voit, parvenir Ă lire correctement la mĂ©taphorique nietzschĂ©enne du marteau, Ă en penser synthĂ©tiquement les connotations, c'est presque dĂ©jĂ se donner les moyens de saisir toutes les orientations du questionnement nietzschĂ©en lui-mĂȘme.
c est toujours le mĂȘme marteau qui frappe